Le
poste de Coordinateur Logistique à l’aune du ravitaillement de la cabane
Phonolite, Presqu’île Ronarch, archipel des Kerguelen
Rien de tel qu’une mise en
situation pour prendre conscience des tenants et des aboutissants d’un poste.
Ainsi, le poste, dont sera l’objet les lignes qui vont suivre, bénéficiera
d’une mise en relief, réalisée au travers d’une illustration concrète. Mais
tout d’abord, quelques considérations générales s’imposent.
L’activité concernée est celle
de coordinateur logistique des activités scientifiques au sein de l’archipel
des Kerguelen pour le compte de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor
(IPEV), un organisme dédié au soutien de la recherche dans les régions de
hautes latitudes. Le coordinateur logistique contribue principalement au bon
déroulement des opérations scientifiques en facilitant le départ sur le terrain
des chercheurs. Cela passe par une planification des sorties hors-base, un
support matériel très hétéroclite (radios portatives, matériel de camping…) mais également par une gestion des refuges
disséminés sur l’archipel. C’est de cette gestion des refuges dont il sera
principalement question dans la suite de cet article.
L’IPEV gère environ une trentaine
de refuges à Kerguelen, répartis sur l’ensemble des 7000 km² des îles. Ces
cabanes accueillent les scientifiques lors de leur mission de terrain et leur
permettent ainsi de rester plusieurs jours, voir plusieurs semaines sur des
sites éloignés de la base de Port-aux-Français. L’entretien de ces refuges est
réalisé durant la période estivale australe lorsque l’activité au sein de
l’archipel est maximale et que le personnel de l’IPEV spécialisé dans ce type
de travaux est présent sur place. C’est également durant cette période, où les
rotations maritimes du Marion Dufresne II desservent les Terres Australes et
Antarctiques Françaises (TAAF), que les cabanes fortement fréquentées sont
ravitaillées par hélicoptère. Lorsque la base rentre en hivernage, événement
initié par un adieu relatif au Marion Dufresne de plus de 6 mois, le nombre de
personnes chute drastiquement et le coordinateur logistique, seule personne
dépendant directement de l’Institut Polaire encore sur place, assure le relais
entre le siège de l’IPEV et le district de Kerguelen tout en assurant une
continuité dans le service de soutien à la recherche scientifique sur les
programmes au long cours fonctionnant notamment grâce aux Volontaires de Service
Civique (VSC), jeunes scientifiques affectés pour une année sur ces îles du
bout du monde.
|
Cabane Phonolite Photo Adrien Tavernier IPEV |
L’évocation du ravitaillement
de la cabane Phonolite (du nom d’une roche volcanique abondante dans cette
partie de l’île) durant la dernière campagne d’été est une occasion d’illustrer
concrètement l’activité du coordinateur logistique, décrite précédemment en
termes généraux. La maisonnée de bois de Phonolite, aux allures de refuge de
haute montagne, se situe dans l’univers minéral de la presqu’île Ronarch,
extrémité orientale et méridionale des Kerguelen. Aux pieds de "la
tête de l’Homme",
structure géologique culminant à près de 400
mètres, la masure boisée déteint dans le paysage volcanique tourmenté de cette
partie de l’île. A Kerguelen, la nature semble s’être déchainée dans une sorte
de folie créatrice. Les extrusions basaltiques qui se sont hissées au dessus du
niveau de la mer et qui ont formé l’archipel ressemblent à des sculptures
façonnées par les éléments naturels et dont les formes diverses et variées sont
propices à débrider l’imagination des hivernants. Ainsi, nombre de lieux de ces
îles de la Désolation renvoient à des images subjectives reliées à la
perception des explorateurs d’antan. La toponymie des Kerguelen mêle à la fois
métaphore, poésie et histoire de la découverte de ces cailloux de lave séchée
défiant l’immensité des océans austraux
|
Tête de L'Homme Photo Yves Plaquevent Disker |
Repères
spatiaux sur l’archipel des Kerguelen dans la perspective du ravitaillement de
la cabane Phonolite / Crédits photographiques : Institut Polaire Français
IPEV & IGN
|
Chaland en route pour le Golfe Photo Yves Plaquevent Disker |
Pour rallier la cabane de
Phonolite depuis la base, il est nécessaire de traverser le Golfe du Morbihan.
Lors de la campagne d’été, plusieurs moyens nautiques sont mis à disposition
des scientifiques et du personnel technique afin que ces derniers puissent
accéder aux îles du Golfe mais également aux zones les plus reculées de
l’archipel. Ainsi, trois esquifs bien différents mouillent dans la baie, devant
Port-aux-Français. L’Aventure, chaland pouvant transporter personnel et
matériel.
|
Dépose à Halage aux Naufragés par le Chaland Photo Yves Plaquevent Disker |
le Commerson, embarcation légère et très rapide de type zodiac
dédié au transport de passagers (6 personnes et 2 membres d’équipage) se cantonnent
au Golfe du Morbihan. Lors de la période d’activité réduite de l’hivernage,
seule l’Aventure continue de desservir les îles du Golfe.
|
La Curieuse Photo Yves Plaquevent Disker |
Le Commerson (Photos Resnat Kerguelen)
Un troisième navire,
la Curieuse, rejoint presque chaque été l’archipel depuis la Réunion afin de permettre
aux scientifiques d’accéder aux zones côtières des Kerguelen nécessitant une
navigation en haute-mer et non pas uniquement dans l’anse protégée du Golfe.
Il
est amusant de noter, qu’à l’instar de la toponymie, deux des trois noms des
navires officiant à Kerguelen se réfèrent à la faune (Dauphins de Commerson) ou
à l’histoire du lieu (la Curieuse était le nom du bateau des frères Rallier du
Baty qui explorèrent l’archipel des Kerguelen en 1913.
Pour le ravitaillement de la
cabane Phonolite en ce milieu de campagne d’été, la rapidité d’action est
privilégiée via l’utilisation du zodiac le Commerson. En effet, suite à la
remontée d’informations en provenance de scientifiques ayant été sur place, il
se trouve que le refuge ne disposera bientôt plus de denrées suffisantes pour
assurer la sustentation des personnes de passage.
La cabane de Phonolite a été
construite comme un lieu de transit sur le chemin du refuge de Sourcils Noirs,
endroit d’intérêt ornithologique majeur de l’île notamment pour les Albatros (à
Sourcils Noirs).
|
Le Canyon Photo Y Plaquevent Disker |
Le Canyon des Sourcils Noirs
|
La Cabane Photo Y Plaquevent Disker |
et sa cabane
|
Albatros Sourcils Noirs Photos Y Plaquevent Disker |
se situent à plus de
trois heures de marche de la dépose maritime du Halage des Naufragés où les
scientifiques sont habituellement laissés pour rejoindre le site d’étude des Albatros à sourcils noirs
La
cabane Phonolite, à seulement 40 minutes du point de dépose, permet de
bénéficier d’un relais entre le Halage des Naufragés et le canyon des Sourcils
Noirs. Ce refuge constitue donc une sécurité importante du trajet et il est
primordial qu’il soit opérationnel et dispose d’un minimum de nourriture et de
fournitures.
Un stock de denrées de
premières nécessités est donc constitué depuis le magasin de produits secs
présent sur base et malicieusement dénommé Kerfour (véritable petite épicerie
de quartier). Des bouteilles de gaz, des allumettes et quelques produits
ménagers viennent compléter la liste des éléments à emporter. Chaque item est
placé dans des touques, cylindres plastiques étanches d’environ 60L, unité de
stockage des îles subantarctiques françaises.
Ces bidons sont chargés sur le Commerson avant que ce dernier ne se
lance à l’assaut de la houle du Golfe à près de 30 nœuds.
|
Le Commerson Photo Resnat Kerguelen |
Masque de protection
sur le visage, vêtements étanches sur le dos : les passagers, scientifiques
ou logisticiens,
se cramponnent au support dédié à cet effet et tentent
d’anticiper les chocs liés aux soubresauts de la machine bondissant de vagues
en vagues.
Cela tabasse sévère, le vent fouette la moindre parcelle de peau
mise à nue et des trombes d’eau inondent parfois la proue de l’embarcation. Le
paysage défile et les premières îles du Golfe sont rapidement dépassées. A
cette vitesse, au ras des flots : les sensations sont intenses.
|
Bras Bolinder photo Y Plaquevent |
Très vite
le zodiac s’engouffre dans le Bras Bolinders
dont le fond abrite le Halage des
Naufragés. Après 90 minutes de trajet, l’équipe logistique est débarquée avec
tout son matériel. Le Commerson repart écumer le Golfe pour effectuer un suivi
ornithologique le long des côtes des îles du Golfe. Il sera de retour dans 3h00
pour récupérer les logisticiens et les ramener sur base. Le temps est donc
compté pour le groupe logistique constitué de quatre personnes. Malgré cette
contrainte temporelle, le quatuor se laisse envouter par le départ du zodiac et
par les acrobaties des dauphins accompagnant leur homonyme mécanique. Ensuite
c’est le branle bas de combat. Un camp de fortune est installé : les
touques sont liées entre elles à l’aide d’un bout (terme de marine pour
désigner un cordage) relié à un piquet droit afin d’éviter que le vent, souvent
violent dans ces régions proches des 50ème hurlant, évite de disperser
la précieuse cargaison. Décision est prise d’accéder à la cabane de Phonolite
au plus court c'est-à-dire en coupant au plus fort de la pente : près
de 250 m de dénivelé à 10% de moyenne.
Pour le transport, les touques
sont harnachées sur des claies de portage, puis les jambes se chargent du
reste. Arrivés au refuge, les bidons sont de nouveau reliés entre eux pour
éviter qu’ils ne s’envolent. Ensuite, une rapide vérification de la salubrité
des lieux est réalisée : à part
quelques planches de bois légèrement fendues, la cabane est en parfait état.
|
Interieur Photo Y Plaquevent Disker |
La
Cabane Phonolite ravitaillée avec quelques touques / Crédits
photographiques : Adrien Tavernier Institut Polaire Français IPEV
Quelques photographies de
l’intérieur
et de l’extérieur du refuge sont effectuées pour un compte rendu
futur puis il est grand temps de retourner au petit campement de base pour
terminer le ravitaillement grâce à un nouvel aller retour. Au final, pas loin
de 1000 m de dénivelé positif effectués au pas de course (et autant en négatif)
auront été nécessaires pour procéder à cet ajustement logistique.
|
Dauphin de Commerson Photo Y Plaquevent Disker |
Lorsque l’équipe
revient au camp de fortune désormais délesté de ses touques, le zodiac se tient
prêt à rembarquer hommes et matériel, toujours accompagné par les fidèles
dauphins de Commerson.
Un dernier regard sur le Halage des Naufragés et
l’embarcation bondit en avant pour retourner sur la base de
Port-aux-Français : opération logistique réussie…