mardi 15 mai 2018

(Re) découvertes d’une fougère et d’un charançon



Elaphoglossum randii et Polystichum
Mathilde et Aurélien sont des volontaires du service civique de l’Institut Paul-Emile Victor, que l’on appelle en jargon local des « Ecobios ». Spécialistes de la botanique et des invertébrés, ils parcourent l’archipel à la recherche de plantes et d’insectes qu’ils identifient ensuite au laboratoire de biologie marine de Port-aux-Français « Biomar », avant d’envoyer les échantillons en métropole.
Photo: Annabelle Djeribi
Dans le cadre du programme 136 « Subanteco » et avec le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (MNHN), ils ont organisé une manip conjointe avec la Réserve Naturelle des Terres Australes afin de tenter de retrouver une fougère aperçue en 1979 par Thierry Thomas, hivernant hydrobiologiste. Raphaële, agent de la Réserve Naturelle et spécialiste des habitats les a accompagnés à Armor dans cette véritable chasse au trésor.
Photo: Armand Patoir
Avec pour seuls bagages : un descriptif du milieu et de la zone dans lequel elle fut observée, une photo et la connaissance des autres fougères inventoriées pour les éliminer, nos trois compères ainsi que leur manipeur Armand, le « géner » (coordinateur logistique de l’IPEV) sont partis au bord du lac d’Armor à sa recherche.
Photo: Armand Patoir





Ils ont commencé par fouiller les abords Ouest du lac où ils devaient prélever une autre fougère,
l’ Elaphoglossum randii avant de se rendre sur la partie Est où la mystérieuse fougère semblait se trouver.
Photo: Armand Patoir
A chaque fougère, Mathilde, Raphaële, Aurélien et Armand s’arrêtent, identifient et repartent. Jusqu’à ce que soudain Raphaële et Aurélien s’écrient : « voilà une fougère bien différente des autres ! ». En effet, elle est beaucoup plus grande. Accrochée aux falaises comme le descriptif le précisait, elle pousse également à ses pieds. 




Photo: Armand Patoir












Heureux comme Artaban, ils s’empressent de prendre le point GPS, une description de l’habitat, et comme le nombre de pieds est important, ils se permettent également de prélever un individu en échantillon avant de retourner à la cabane, fillod de l’ancien projet piscicole.






A leur retour, la chasse continue. Car il s’agit maintenant de mitrailler la belle plante sous toutes les coutures pour envoyer les photos au MNHN et attendre la confirmation....




...et le résultat tombe : « vous l’avez trouvée : c’est bien la fougère qui était recherchée ».
























Photo: Armand Patoir
Nouvelle grande joie des écobios et de Raphaële qui préparent alors les échantillons : ils déplient patiemment la fronde de la fougère pour l’étaler sur du papier journal et du papier absorbant avant de la mettre sous presse dans une étuve à 50° pendant 48h. Complètement sèche elle sera ainsi conservée du pourrissement afin de compléter l’herbier de Paris d’une plante de l’Archipel de Kerguelen.






Afin de s’assurer qu’il s’agisse bien d’une plante non connue jusqu’alors, Mathilde et Aurélien ont également prélevé un échantillon de la plante conservé au frigo dans du papier humide. Il pourra ainsi être analysé par ADN afin d’en déterminer l’espèce.





Car si l’on sait que la fougère appartient au genre : Polystichum, très présent en métropole, c’est son espèce qui déterminera s’il s’agit d’une plante endémique ou non, peut-être même pourrait-elle être stricte de Kerguelen ! Nous attendons avec fébrilité les résultats des laboratoires dans quelques mois…




En attendant, Mathilde, Aurélien et Raphaele retourneront prospecter le site afin de connaître l’étendue de la population au-delà de cette station.


Et lorsque je demande à Mathilde ses impressions elle répond : « nous sommes très heureux de re-découvrir une fougère non vue depuis 1979…et en plus, elle me fait penser à un sapin de noël ! ». 
Joli cadeau dans ce pays sans arbre!


Disker Tenuicornis
Photo: Armand Patoir
Mais il n’y a pas que les fougères qui sont (re)découvertes à Kerguelen, il y a aussi des invertébrés. Ainsi, le laboratoire de Rennes a également demandé à nos intrépides chercheurs de tenter de retrouver un charançon natif nommé Disker tenuicornis qui avait été décrit dans les années 1940 par Jeannel et non prélevés depuis les années 90. C’est cette fois-ci dans les « fell fields » (habitat "ébouli non mobile" à dominante de blocs et de cailloux où la strate herbacée est relativement couvrante) de Puy Saint Théodule que Mathilde et Aurélien sont partis prospecter…et ils ont également retrouvé le charençon !

Photo: Annabelle Djeribi
Photo: Annabelle Djeribi

Prélevé avec un aspirateur à bouche et conservé dans l’alcool il sera envoyé au laboratoire de Rennes pour identification. Il s’agit d’un coléoptère (comme les coccinelles ou les scarabées), plutôt sombre et qui mesure 2mm de long.

Photo: Armand Patoir
Lors de cette manip, Aurélien et Mathilde ont eu la chance de dormir dans la grotte aménagée du Puy st Théodule face au delta de la Clarée.

Photo: Armand Patoir

Photo: Armand Patoir

«On se sent seul au bout du monde, c’est très émouvant ».

Photo: Armand Patoir
Photo: Armand Patoir












Depuis cette manip, 8 autres individus ont été prélevés sur la Presqu’ile Jeanne d’Arc.
Encore une fois, il leur faudra s'armer de patience pour savoir s’il s’agit bien de celui qui est recherché. Tous les charançons que l’on trouve à Kerguelen sont endémiques de Crozet et Kerguelen. Or, celui-ci ne semble être présent qu’à Kerguelen…normal pour un disker !


Le programme 136 Subanteco réalise des suivis de la végétation depuis plusieurs dizaines d’années à Kerguelen afin d’analyser les impacts des changements climatiques des espèces introduites sur la végétation ainsi que leur capacité d’adaptation.

Merizodus et Anatalanta aptera
Photo: Annabelle Djeribi
























C’est dans le cadre de ce programme que les écobios étudient également le tristement localement célèbre mérizodus. Celui-ci a été introduit à Port-Couvreux au début du XXème siècle dans la laine des moutons importés dans la ferme crée par les frères Bossières.  Depuis, il s’est répandu sur presque l’ensemble de l’archipel.
Photo: Annabelle Djeribi
Photo: Annabelle Djeribi
























Le mérizodus a une très forte capacité d’adaptation. Le travail de Mathilde et Aurélien consiste à prélever des individus régulièrement et sur plusieurs sites afin de voir la différence phénotypique entre les espèces présentes dans le lieu historique et les nouveaux sites colonisés. En 100 ans, les nouvelles populations ont déjà évolué : une différence de taille a été démontrée par exemple.



Un des impacts de ce coléoptère est qu’il se nourrit entre autres des larves d’anatalanta aptera, une mouche sans ailes (espèce endémique de Crozet et d’Amsterdam) qui semble déjà subir de fortes pressions à cause du réchauffement climatique. L’anatalanta aptera s’est adaptée à l’environnement très venteux : au lieu de perdre son énergie à voler face au vent  et n’ayant pas besoin de fuir des prédateurs presqu’inexistants, ses ailes se sont atrophiées jusqu’à disparaître. Par ailleurs, son abdomen a également grossi afin de stocker plus de graisse pour résister au froid.

Interview de Mathilde, Ecobiote :
Quel est ton parcours ?
J’ai fait un bac S puis un BTS Gestion Protection de la Nature. Vu que j’aimais beaucoup le terrain, j’ai continué en licence pro « analyse et techniques d’inventaires de la biodiversité » où pendant une année j’ai appris à mettre en place des protocoles scientifiques sur le terrain.
Après ma licence, j’ai fait un service civique de 6 mois en ornithologie en Charentes maritime : nous étudions le chant des mâles et le déplacement du gorge bleue à miroir dans une roselière.
Ensuite, j’ai travaillé pendant 5 mois au CNRS à Lyon sur les invertébrés des milieux hyporéiques (entre rivière et nappe phréatique) : je triais et identifiais les échantillons au laboratoire.
Photo: Annabelle Djeribi
Après, je suis partie en service volontaire européen 6 mois en Croatie dans un refuge pour ours brun orphelins (aux parents tués par des braconniers ou des voitures). Nous nous occupions des enclos et de nourrir ces ours qui ne pourront pas retourner à la nature. J’en ai aussi profité pour créer un jardin en permaculture. Avec les autres volontaires, nous aidions les villageois à récolter les légumes, faucher les prés et sensibilisions les visiteurs à travers des sentiers pédagogiques.
Ensuite, j’ai travaillé un an pour le CNRS de Marseille sur les invertébrés aquatiques : échantillonnages dans les rivières, trie et identification au laboratoire.
Après quoi j’ai fait un volontariat dans une ferme en gardant des chèvres pendant deux mois en bourgogne.
Et pour finir, j’ai travaillé pendant 2 mois avec les gardes natures de la Sainte Victoire pour sensibiliser le public aux risques incendie, les orienter sur les sentiers et les sensibiliser à l’environnement.
Puis, j’ai postulé pour partir à Kerguelen !

Qu’est ce qui t’a donné envie de t’orienter dans ces études et cette voie ?
J’ai grandi à la campagne (Bourgogne) et j’ai toujours été sensible à la nature et à sa protection. J’ai commencé par le BTS et j’ai pris goût au terrain.

Photo: Annabelle Djeribi
Parmi tes différentes expériences, as-tu eu un intérêt plus fort pour certaines espèces ?
Les invertébrés : c’est très peu connu du grand public et cela a un rôle écologique majeur. Ils sont très nombreux et sous estimés en nombre et en importance. Il y en a qui sont détritivores, auxiliaires d’agricultures, parasites : ils sont essentiels dans la chaine alimentaire.





Qu’est ce qui t’a amenée à postuler pour Kerguelen ?
J’adore l’idée de faire du volontariat : ne pas avoir un but pécunier.
Partir à l’aventure, loin de ses proches et de ses repères pour vivre en communauté au bout du monde dans le but de mieux connaître et mieux préserver l’environnement, constater l’impact du réchauffement climatique.
Vivre sans téléphone, sans internet, sans argent…Se rendre compte que l’on peut être vraiment épanoui sans tout cela, c’est important.
Vivre avec des militaires, des réunionnais… : nous sommes tous en communauté à apprendre les uns des autres, à partager des expériences.

Cela fait déjà 7 mois que tu es là, est-ce que tu as trouvé ce que tu cherchais ?
Oui carrément, et je n’ai pas vu le temps passer ! J’ai trouvé tout ce que je cherchais : réussir à être épanouie loin de ses repères et de ses proches, travailler au contact de la nature, être entourée d’albatros, de manchots, de dauphins…nous sommes privilégiés.

Que penses-tu de la situation environnementale actuelle ?
Nous devrions prendre conscience que c’est un fait, revoir notre mode de vie. S’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences.

Que souhaites tu faire à ton retour ?
Hé hé hé…j’ai pleins d’idées ! Après 14 mois intenses, je vais retrouver ma famille, mes proches un certain temps et repartir en voyage, marcher quelque temps puis retrouver du travail. J’aime bien alterner travail et volontariat.

Photo: Annabelle Djeribi

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