lundi 30 avril 2018

Simon Rouby - Artiste en Résidence à Kerguelen

Tous les deux ans, les Terres Australes et Antarctiques françaises proposent des résidences à quelques artistes dans le cadre de l’appel à projet « l’atelier des ailleurs ».
Cette année, c’est Simon Rouby, cinéaste, que nous avons eu la chance d’accueillir à Kerguelen de fin Décembre à mi- Avril 2018.  

Simon Roubly a notamment réalisé le long métrage d’animation « Adama » avec Julien Lilti, scénariste. Ce film raconte l’histoire d’un enfant de 12 ans qui vit dans un village très isolé d’Afrique de l’Ouest. Il admire son frère de 16 ans qui un jour disparaît. Alors, il décide de partir à sa recherche, sans savoir qu’il s’est engagé dans la guerre, car nous sommes en 1916.

Ce film qui a demandé 7 années de production, surprends avant tout par l’originalité et la richesse de l’univers graphique. Pour retranscrire les expressions des personnages, Simon a choisit d’utiliser une technique novatrice : le scan 3D de statues d’argiles. 150 statuts de 15 cm de haut ont ainsi été produites. Les 900 décors sont des peintures qui nous emmènent dans son monde de lumière et de perspectives. Quand à la spectaculaire scène de Verdun, Simon a utilisé la technique du férofluide, une encre avec des nanoparticules de métal qui réagissent au champ magnétique et reproduisent ainsi les explosions et le trouble de la guerre. Plus de 40 personnes ont travaillé sur ce film imaginaire et historique, saisissant.

A Kerguelen, Simon est venu s’inspirer de la particularité de nos paysages, de leur grandeur mais également s’est fasciné par ses détails, celui de la nature à l’état sauvage.

Participant à de nombreuses manips à travers l’archipel, il a filmé et photographié en utilisant parfois un drone avec l’objectif de recréer des décors en 3 dimensions.
Cet homme longiligne, paisible, humble et souriant, riche de son passé de créateur et de sa gentillesse a également participé à la vie de la base de Port-aux-français. Il a transmis à ses hivernants un nouveau regard, le regard pétillant et profonds de l’art. De nous tous : merci Simon.

Interview de Simon Rouby illustrée de ses dessins
  
1)  Simon Rouby
Quel est votre parcours ?
Je suis originaire de Lyon, j’ai commencé par le graffiti puis j’ai fait des études de dessin animé à Paris et à Los Angeles. J’ai réalisé plusieurs courts métrages et un long métrage qui s’appelle Adama.

Qu’est ce que le graffiti vous a apporté ?
Cela m’a permis de m’aiguiller vers l’art.
Je ne viens pas du tout d’une famille d’artistes, plutôt de scientifiques d’ailleurs, cela m’a permis de m’exprimer par la forme, la couleur, sans même me rendre compte que je faisais de l’art. C’est un truc spontané qui se fait sans démarche, sans réflexion et cela reste de l’art au final.
Quel était votre style ?
Autour du graffiti adolescent auto promotionnel : j’écrivais mon nom. C’était du graffiti assez brut, pas très décoratif, mais c’était tout de même une expression avec la composition, la couleur, la forme en plein air : c’est un art qui se pratique à l’échelle du corps, c’est libérateur comparé avec l’école de dessin où l’on dessine avec les deux premières phalanges de la main droite. C’est bien d’avoir commencé avec cette échelle.

Et que vous a appris l’école de dessin animé ?
A décomposer le mouvement d’un personnage. Animer c’est donner vie à un dessin. Image part image cela met en scène un film en entier. On commence par un dessin et on se met à devenir cinéaste.

Qu’est ce qui a fait que vous choisissiez le parti d’être réalisateur ?
J’ai trouvé mon moyen d’expression : le cinéma mais dessiné. C’est une sorte de synthèse de toutes les formes d’expressions à la fois : le dessin, la sculpture, la composition, le rythme, la musique, c’est très complet.

2)  Adama

Comment en êtes-vous arrivé à réaliser un premier long métrage ?
Lorsque j’étais à l’école, j’ai fait un choix de stage très peu carriériste au Sénégal où j’ai réalisé un très court métrage : « Orun ». C’est l’histoire d’un gamin dans une école coranique qui dessine en secret et qu’on censure. Il y avait un thème imposé sur le super héros et il dessine le super-héros qu’il voit.
J’avais cette expérience, et j’ai un ami scénariste, Julien Lilti, qui voulait réaliser un film sur les tirailleurs sénégalais. Il a vu mes films et trouvait que cela marcherait bien avec son film.
On s’est rencontré, il m’a parlé de son projet, on s’est tapé dans la main et dis au revoir. On ne savait pas qu’on resterait à travailler ensemble pendant 7 ans.

Comment avez-vous travaillé avec Julien ?
On a écrit pendant plusieurs années. Au début il écrivait et je dessinais puis nous avons écrit tous les deux ensembles.
On sortait de l’école, c’était un projet un peu impossible sur le papier. Des étudiants qui sortent de l’école, un thème difficile, un enfant dans la guerre. A force de persévérance, on a été rejoins par des producteurs, NAIA. Deux ans d’écriture, deux ans de financements, deux ans de fabrication à la Réunion. Quasi 7 ans de l’idée au truc terminé !
J’ai aimé cette naïveté. On me disait « c’est impossible », mais : c’est possible.
J’aimerai retrouver la naïveté de ce moment là. On n’a jamais eu le coup de grâce donc on a poursuivi. C’est un travail d’équipe, au début on était deux et ensuite cinquante. L’important c’est comme dans tout, c’est d’y croire.

Qu’est ce que vous avez voulu dire à propos d’Adama ?
On partait d’un fait historique : les tirailleurs sénégalais qui ont combattus pour la France, « la force noire ». C’était une manière de revenir un peu sur presqu’un siècle d’interaction entre l’Afrique de l’ouest et la France à travers ce sujet là.
Nous avons tous les deux grandis dans des quartiers mixtes. Lorsque j’étais adolescent on ne se posait pas la question de qui venait d’où mais en grandissant on se pose plus de questions sur les chemins différents.
Lorsque j’étais au Sénégal, j’avais été marqué par ce que j’avais trouvé là-bas : la noblesse de la culture, quelque chose dont on n’a pas forcément conscience.

Les personnages sont différents de ce qu’on a l’habitude de voir, comment avez-vous donné ce rendu ?
Le style graphique, c’est toujours l’histoire. Là il y avait un fait réel, et en même temps un fait subjectif, vu par les yeux d’un enfant. L’idée était de montrer ces deux aspects. L’aspect humain, réaliste, était des sculptures en argile pour être à mi-chemin avec quelque chose de stylisé, d’humain. Pour les décors c’est plus la subjectivité qui l’emporte, des peintures avec une profondeur de champs. Il y a seulement ce qu’Adama voit qui est représenté, le reste est flou, lointain, comme cela on reste complètement dans sa perception. C’est un mélange entre ancienne technique comme l’argile et nouvelles technologies avec scan en 3D.

Est ce que c’est innovant ce que vous avez faits ?
Oui car cela n’a pas été fait. Toutefois, on ne l’a pas fait pour innover mais pour choisir le prototype graphique qui match le mieux avec l’histoire. On veut être dans un point de vu et évoquer la réalité. Ce qui est innovant c’est de mélanger des techniques. On utilise celles qui sont là où elles sont le plus efficace. Comme pour la guerre : se sont des sables, des encres magnétiques, on a utilisé de la limaille de fer pour illustrer les bombes à Verdun.

Comment a été accueilli Adama ?
Bien, il a eu une belle sortie en France : 120 000 entrée. C’était pour un public large, ce qui n’est pas facile. Il est encore dans les circuits de l’éducation nationale deux ans après. 150 festivals dans le monde ont choisi de le diffuser. Il a été aux Césars, au European Film Award, c’est un bon succès.

Quel est le prix qui vous a fait le plus plaisir ?
Ce n’est pas tellement les prix, c’est plus que des personnes me disent qu’elles ont vécus telles ou telles choses en voyant le film.

Est-ce que vous cherchez à transmettre un message dans vos films et de quelle manière souhaitez-vous que le public se l’approprie ?
Tu tisses tout un tas de messages ! Finalement ce que tu souhaites, c’est une sensation musicale, en dehors du langage, un sentiment que te procures le film et tu y reviens tout le temps, tu l’as en toi.
Un film est une sorte d’avalanche, une mosaïque de couleurs qui défile devant tes yeux, des rythmes. Là-dedans tu essaies de tisser un message politique complexe, la colonisation. On n’a pas voulu faire un film politique non plus : on ne se sentait pas dans la bonne position pour le faire. Notre propos était davantage de partager une expérience de l’Afrique qui a été la nôtre, à travers le film pour mettre le sujet en lumière.

3) Kerguelen et l’atelier des ailleurs
Qu’est ce qui vous a amené à postuler pour l’atelier des ailleurs ?
J’étais devenu un peu chef d’entreprise or il y a 5 ans je faisais tout de manière artisanale et je voulais revenir à cela, d’où l’idée d’une résidence.
Pourquoi celle-là ? Le mystère de Kerguelen que j’avais découvert en vivant à la Réunion. Je connaissais cet appel à projet et mon projet s’y prêtait bien ici. J’ai commencé à travailler sur le projet « Pangée » : continent unique qui existait il y a 3 millions d’années, qui juxtapose l’Himalaya, l’Afrique de l’est et l’antarctique sur un même transit et Kerguelen est à mi chemin entre tout cela, cette terra incognita qu’il y aurait moyen de peupler avec un peu d’imagination…

Est ce que vous aviez des idées sur la manière d’exploiter Kerguelen avant de venir ici ?
Oui j’avais une idée très accès sur les paysages et la géologie qui a été bousculé en arrivant ici avec les aspects faunes. Je savais très bien que serait une résidence où il faudrait s’adapter à ce qui se passe, réagir spontanément à ce qui se présente. Et finalement ce que j’ai pu faire n’est pas très éloigné de ce que j’avais imaginé : des temps sur le terrain ou je peux numériser des paysages et des temps sur la base ou je peux écrire le scénario.
Du fait des contraintes de temps, de vents etc, je n’ai pas forcément travaillé à l’échelle où je l’avais imaginé mais aussi sur des fragments, des tous petits bouts de territoires et cela va donner certainement lieu à une expo sur des projets, des sculptures ce qui n’était pas forcément prévu au départ.
Ce que j’ai découvert aussi ici c’est que c’est beaucoup moins pertinent de venir à Kerguelen pour s’enfermer trois mois dans un bureau à écrire que bouger tout le temps et écrire au retour.

Quelle est l’idée de cette exposition ?
Présenter des objets qui seraient des fragments de Kerguelen, une espèce de puzzle. Des fragments de paysages, des photographies en volume, sculptures photographiques. Mes scans peuvent s’imprimer en 3D, en couleur.

Est ce que Kerguelen vous a inspiré ?
Oui, je ne serai pas dire comment. C’est une manière de faire le plein d’images. J’en ai plein la tête et je les réutiliserai.
Ceci, sans parler de l’aspect humain, hors du temps. C’est très apaisant de faire une sorte de parenthèse dans sa vie en venant ici. Au début j’étais plus dans la frénésie de faire pleins de trucs et c’est la première fois que j’ai une période aussi calme, longue, solitaire aussi.



Est ce que Kerguelen était ce à quoi vous vous imaginiez, si vous aviez une idée ?
On ne peut pas, c’est seulement à bord du Marion Dufresne que l’on commence à comprendre, sauf peut être pour certaines personnes, comme ceux qui ont une formation avant. C’est seulement une fois que tu es là que tu dis : ok c’est comme cela. Cela sera difficile de décrire aux gens ce qu’on a vécu en rentrant.
En même temps, j’avais fait exprès de ne pas m’imaginer vraiment ce que cela serait.

Si vous deviez décrire Kerguelen en rentrant, que diriez-vous ?
Une sorte de solitude collective partagée avec des inconnus dans un village loin du monde. Tout cela entouré d’un spectacle permanent à 360°.

Comment allez-vous utiliser Kerguelen dans vos prochains projets ?
L’exposition en parlera, mais pour mes films, ce sera plus un ingrédient. J’y piocherai dès le prochain et peut être aussi après, pour en ressortir des images : c’est une banque de donnée, des expériences vécues qui permettent d’imaginer plein de choses au delà de ce projet là.

4)  L’expérience de Kerguelen par Simon Rouby

Comment avez-vous vécu votre expérience ici ?
Il y a une phase de rupture au début avec ta vie dont tu t’extraies. Ce sont des adieux. En plus il y a pleins de mise en garde : rendez vous avec médecins, psychologues, « cela va être comme cela ». Tu sens que tu te lances dans quelque chose de presque anormal. 
Comme moi je suis arrivé en pleine campagne d’été, j’ai fait ma première manip 3 jours après être arrivé, à chercher des oiseaux dans les terriers de Kerguelen. Pas de transition, tout de suite dans le bain grâce aussi au gens qui m’ont permis de le faire.
Finalement, la première période plus calme où j’ai vraiment compris où j’étais, c’était plutôt en février après le départ des campagnards d’été. C’est surtout ce mois là où j’ai écrit.

On voit aussi le départ arriver de très loin : depuis un mois, avant même que le Marion Dufresne soit parti, il est déjà arrivé.
J’ai vraiment ressenti en Février ce que cela peut être d’hiverner ou de rester longtemps ici. C’est une expérience solitaire, il faut s’adapter. Il y a beaucoup de contraintes qui mises bout à bout te rythment, comme sur un camp militaire : les repas à telle heure, les questions de sécurité qui sont plus prenantes qu’ailleurs, le fait que tu ne puisses jamais être vraiment seul. Il y a des trucs qui demandent de l’adaptation.

Est ce que vous aurez appris des choses sur vous ?
Je me sens plus apaisé qu’en arrivant. On apprend que l’on n’est pas complètement fait par la frénésie actuelle, le coté hyper connecté, la frénésie permanente des choses, cela permet de reconnecter avec quelque chose de plus temporel. Sans forcément apprendre des nouvelles choses sur soi, cela permet de se retrouver.
Lorsque j’avais du temps, lorsque tu es en train de chercher, que tu te décourages, tu vas faire un tour et tu reviens : c’est la première fois que je fais cela dans un tel silence. D’ailleurs, c’est moins le silence ou l’isolement que le fait que je n’ai personne qui attende quelque chose de moi qui est assez vertigineux : tu es obligé d’être sincère avec toi même. Tu n’as pas de commande. Je ne vais pas repartir d’ici avec un scénario finit.

Comment c’était les manips ?
C’était dingue ! J’ai fait de tout. Plaquage d’éléphant de mer, fouillage de terrier, prélèvement de mouches sans ailes, comptage d’espèces introduites, découverte de plantes rares comme le Lialya, pêche électrique, recherche de rats… C’est surréaliste et je préfère faire cela ici que me creuser la tête à écrire car je pourrai le faire après.

Avez-vous une vision artistique de Kerguelen ?
Je ne regarde pas les mêmes choses.
Tu peux aller au même endroit avec des programmes différents tu vas voir des choses différentes : plantes, choux, rat, éléphant et à chaque fois c’est un monde.
Dans le même environnement il y a pleins de regards qui se croisent et moi j’en ai un de plus. Tous les regards me permettent d’être attentif au mien, il y a pleins de choses que je n’aurai pas vus seul.
Par ailleurs, il y a beaucoup de gens qui font de la photo, ont un regard artistique, je ne suis pas le seul.
Est ce qu’il y a une expérience forte, quelque chose qui vous a marqué ?
Je reviens de Port-Jeanne-d’Arc et cela m’a vraiment marqué. Etre comme partout à Kerguelen, dans une manip en pleine nature à chercher des plantes et dans un temps arrêté, être dans celui de ruines de phoquiers norvégiens du siècle dernier avec toutes les questions que cela soulève : présence de l’homme, exploitation, héritage, conservation, esthétique… Nous avons gagné beaucoup en conscience écologique et en architecture. J’ai l’impression d’avoir voyagé dans le temps.

Au final une expérience positive ?
Oui carrément !

Et après ?
Replonger dans le monde. Reprendre là ou j’en étais, c’était une parenthèse. J’ai des projets en cours qui reprennent tout de suite.
Je me suis consacré juste au temps présent pendant 5 mois, c’est un luxe incroyable.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire