lundi 2 octobre 2017

Manip Popeleph à Rivière du Nord (Programme IPEV Popeleph – Christophe Guinet)

Le programme Popeleph (IPEV / Laboratoire de Chizé) a débuté en 2003 sur Kerguelen. Celui-ci s’est déroulé d'abord à Ratmanoff, puis à Pointe Morne et, depuis cette année, à Rivière du Nord. Ces trois sites se situant tous sur la péninsule Courbet.

Cette année, le programme comprend trois axes :

1) Identification et suivi des bonbons de la naissance au sevrage : 

Les bébés éléphants de mer, appelés bonbons, sont bagués à la naissance au niveau de la nageoire caudale pour être pesés et mesurés le jour du sevrage (23 jours plus tard en moyenne), moment au cours duquel la bague est retirée. Une prise de sang est également réalisée.
Comme les autres années, une centaine de bonbons ont ainsi été suivis.
Le baguage permet de déterminer la durée précise de lactation pour chaque petit (elle varie de 15 à 29 jours) et de détecter les petits nouvellement sevrés parmi les autres.
Sur le site de Rivière du Nord, environ 1200 petits naissent chaque année.

Les différences de masse au sevrage d’une année sur l’autre nous renseignent sur la richesse en proies rencontrées par les mères.

La prise de sang (dosage isotopique du carbone) nous renseigne sur la zone d’alimentation au sein de l’Océan austral (zone subantarctique ou antarctique) privilégiée par la mère. De la sorte, on peut déterminer si les variations des ressources alimentaires d’une année sur l’autre ont lieu à une échelle globale (Océan indien sud) ou régionale (subantarctique / antarctique). Ces variations de ressources sont liées à des variations des conditions climatiques et océanographiques.
























2)  Installation de balises avec capteurs sur une vingtaine de femelles éléphants de mer :
Ces balises permettent de :
-    Localiser les animaux en mer,
-    Observer les comportements de plongée par la mesure de la pression (profondeur),
-    Enregistrer des paramètres océanographiques : température, salinité, lumière et concentration en   phytoplancton,
-    Mesurer l’accélération afin d’évaluer différents comportements de l’éléphant de mer au cours de la plongée : tentatives de captures de proies, effort de nage, posture de l’animal,
-    Enregistrer le rythme cardiaque de l’animal pour évaluer la dépense énergétique au moyen d’un enregistreur implanté en sous cutané,
-    Par ailleurs cette année, des mini sonars actifs ont été déployés afin d’évaluer les champs de particules biologiques (zooplancton, poissons, calamars…) rencontrés par l’éléphant de mer au cours de ses plongées.
Les balises ainsi déployées vont permettre d'étudier le comportement en mer de ces femelles entre la période de reproduction (septembre-octobre) et la période de mue (janvier- février).
 
Ce programme permet à la fois d’évaluer l’écologie en mer de ce prédateur mais aussi de collecter de très précieuses données en mer concernant l’océan austral.

D’un point de vue écologique, il a été montré que les deux facteurs qui affectent le plus directement la profondeur de plongée et par conséquent l’efficacité de pêche (plus la plongée est profonde, moins elle est efficace car l’animal limité en oxygène peut passer moins de temps dans la période de fonds de la plongée qui correspond au temps utile de pêche) de ces prédateurs sont :
-    La température : plus ces eaux sont chaudes plus ces animaux doivent plonger profondément en journée,
-    L’intensité lumineuse dans la colonne d’eau qui varie en fonction de l’éclairement qui arrive en surface mais aussi et surtout en fonction de la quantité de phytoplancton présent. Moins il y a de phytoplancton, plus la lumière pénètre profondément et plus les proies se situent en profondeur (mécanisme antiprédation pour se dissimuler). 
Avec les changements climatiques, d’une part l’océan austral se réchauffe et d’autre part il y a une modification de la distribution de la productivité de l’océan austral en termes de quantité et de distribution de phytoplancton. Dès lors, ceci affecte les comportements de plongée de ces animaux. Les jeunes ayant des capacités de plongée plus limitées que les adultes (250m à 1 an contre 450/500m pour un éléphant de mer adulte en profondeur moyenne), ils seront donc les premiers impactés.


D’un point vu océanographique, et à un niveau international, les éléphants de mer contribuent ainsi à hauteur de 80% des données collectées sur l’ensemble de l’océan austral et représente 99% des données océanographiques associées à la banquise antarctique. Le suivi est continu dans l’Océan austral depuis 2003 ce qui permet de disposer de séries à long terme. Ce programme a été labellisé comme système national d’observation des conditions océanographiques de l’Océan austral.




3 ) Etude comportementale des éléphants de mer à travers des tests de personnalité :
a)      Etude chez les mâles :
Cette étude cherche à répondre à la question suivante : outre la taille des mâles, est-ce que leur
personnalité joue sur le succès reproducteur ?
En effet, l’éléphant de mer est la plus grande espèce de phoque et c’est l’espèce de
mammifère présentant le plus fort dimorphisme sexuel (500kg pour une femelle en moyenne 
et 2,5 tonnes pour un mâle). Ce dimorphisme sexuel est associé à un système de reproduction 
polygone : un mâle s’accouplant avec plusieurs femelles, cela crée une compétition féroce 
entre les mâles pour accéder à la reproduction. En général ce sont les mâles les plus grands et 
les plus gros qui ont le meilleur succès de reproduction.
Néanmoins cette relation entre taille des mâles et leur succès reproducteur n’explique pas tout 
et l’un des objets de cette étude est de voir si la personnalité (tempérament) des mâles peut 
contribuer à expliquer une partie des différences de succès reproducteur. Pour cela, une 
biopsie est réalisée sur chacun des mâles présents. 
Cette biopsie permet de répondre à deux questions :
-     Est-il possible d’émettre une relation entre la qualité des mâles (taille et conditions) et leur habitat de pêche (antarctique / subantarctique - mesuré grâce au dosage des isotopes de carbone)?
– Quelle est la contribution de chaque 
mâle dans la reproduction ? Ceci 
s’évaluera l’année prochaine (l'ensemble 
du cycle de fécondation-gestation durant 
un peu plus de 11 mois)  en effectuant 
des tests de paternité sur l’ensemble des 
nouveau-nés produits à Rivière du Nord. 
Les femelles étant fidèles à leur site de 
reproduction elles viennent se reproduire 
sur la même plage d’une année sur 
l’autre. Ainsi, l’an prochain, l’ensemble 
des petits nés à Rivière du Nord seront 
échantillonnés pour permettre des 
analyses génétiques afin d’identifier les pères. La quantité de petits produits par un même 
mâle sera relié à sa taille, sa condition d’engraissement et sa personnalité (ex : niveau 
d’agressivité). Pour cela, tous les mâles ont été photo-identifiés à partir des cicatrices qu’ils 
portent sur leur flanc gauche. Ils ont également été mesurés et leur condition corporelle 
estimée.
La personnalité des mâles est évaluée à partir de différents tests comportementaux:
Réaction à une personne qui 
s’approche face à l’animal et 
à une personne qui tourne 
autour de l’animal. Selon les 
individus, des différences de 
réponses constantes dans le 
temps sont observées : 
certains mâles sont très 
placides et ne manifestent 
aucune réaction alors que 
d’autres peuvent se montrer 
agressifs.


 b)    Etude chez les femelles:
Chez quelques espèces
animales, il a pu être établi un lien entre trait de personnalité et métabolisme (dépense 
énergétique). De ce fait, une étude est conduite sur les femelles éléphants de mer où d’unepart 
les traits de personnalité ont été évalués en les soumettant à différents tests comportementaux 
et leur métabolisme en mer étudié à partir des balises et enregistreurs cardiaques déployés sur 
ces femelles.
Il n’est pas possible d’étudier les femelles à travers un test semblable à celui des mâles du fait 
de leur position au sein d’un harem, aussi le test mis en place a été d’enregistrer par vidéo la 
réaction face à un objet inhabituel pour ces animaux (jouet en forme de vache rose au bout 
d’une perche). Le même individu est soumis à ce test 4 ou 5 fois durant la période de 
reproduction, afin de s’assurer de la constance de réponse d’un individu à ce stimulus.
 
L’équipe est composée de Christophe, 
directeur de recherche CNRS, Manon, 
vétérinaire française et Hassen, éthologue 
canadien en thèse de doctorat.
Pendant un mois et demi, ils ont vécu dans la 
cabane de Rivière du Nord à manipuler ces 
animaux, à les étudier et à les compter.

Au plus fort de la saison de reproduction, 
début octobre, plus de 1100 femelles étaient 
présentes sur le site, pour environ 110 mâles 
dont une dizaine de pachas.


Article co-écrit avec Christophe Guinet.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire