jeudi 1 août 2024

Pourquoi étudier le Merizodus aux Kerguelen ? (2/2)

 

Suite de l’histoire de ce petit carabique, relatée par une Ecobio librement inspirée des récents travaux scientifiques du programme IPEV 136

 

En ayant pris connaissance du contexte environnemental dans lequel s’inscrit l’histoire du Merizodus depuis son introduction aux Kerguelen (cf première partie de l’article : Pourquoi étudier le Merizodus à Kerguelen ? (1/2)), on comprend ainsi mieux tout l’enjeu que représente l’étude de cet insecte invasif par les scientifiques de l’Institut polaire français (IPEV). Depuis plus de 40 ans, des suivis des communautés invertébrées sont menés en différents points de l’archipel pour suivre la progression du Merizodus et évaluer, année après année, son impact sur l’entomofaune locale, en lien avec le réchauffement climatique.

 

 

Inventaire des insectes présents sur le littoral à Cataractes, Kerguelen, en 2024 (Lisa)

Parallèlement aux suivis de terrain conduits tous les ans par les Ecobio (VSC du programme 136 de l’IPEV), des études morphologiques, physiologiques et comportementales sont réalisées sur des populations de Merizodus situées le long de son front d’invasion (depuis Port Couvreux jusqu’à des localités éloignées comme l’est de Courbet, Pointe-Suzanne et les îles du Golfe telles les îles Verte et Guillou).

 

Etude du Merizodus en laboratoire à Biomar, Kerguelen (Lisa)

Ces études ont déjà permis de mettre en évidence une augmentation de la taille des individus avec l’éloignement au site d’introduction originel. En effet, dans celui-ci, les insectes apparaissent significativement plus petits, et se distinguent des individus plus grands prélevés dans des sites récemment colonisés (exemple : Isthme Bas en 2006). La disparition locale des proies privilégiées en termes d‘effectifs et d‘apports énergétiques pour Merizodus, comme A. aptera au sein des premiers sites colonisés, peut expliquer une réduction de taille dans une situation de ressources trophiques limitées. La densité et la compétition des individus au sein d’une population constituent également des facteurs explicatifs de la réduction de taille observée sur les sites les plus anciennement colonisés, certains d‘entre eux présentant de fortes abondances populationnelles.

 

 

Groupe de Merizodus trouvés sous un caillou (Lisa)

 

 

Il y aurait donc des individus au phénotype (ensemble de traits morphologiques) « résident » et d’autres au phénotype « dispersant ». Les premiers seraient caractérisés par une plus petite taille corporelle, de plus petites pattes et des caractères physiologiques et moléculaires différents des « dispersants » davantage taillés pour coloniser de nouveaux territoires éloignés de leur population d’origine. L’existence et la caractérisation de ces phénotypes seront ainsi testées grâce à l’analyse de traits morphométriques (longueur du corps, des pattes…), physiologiques (taux de lipides, de protéines…), génétiques (éloignement génétique corrélé à la distance géographique par rapport à la population de Port Couvreux) et immunologiques, des Merizodus collectés sur le terrain chaque année en différents lieux (pour les connaisseurs, sur la carte ci-après : Port Couvreux, Val Travers, Anse sablonneuse, Port Elizabeth, Cataractes, Campbell, Cap Noir, Cap Digby, Estacade, Morne, Anse Pacha, Molloy, St Malo, PJDA, Verte, Guillou, Pointe Suzanne, Val Studer).

 

 

Sites prospectés en 2022-2024 pour l’échantillonnage de Merizodus (source : IPEV 136).

 

 

Outre les ressources alimentaires limitées, récemment, d’autres facteurs ont été étudiés comme le comportement se focalisant principalement sur la sociabilité, la témérité et l’agressivité, qui influenceraient la dispersion du Merizodus. Les hypothèses d’étude sont les suivantes : il existerait une variabilité individuelle dans ces comportements sociaux entre les individus de Merizodus prélevés le long d’un gradient d’invasion, entre les individus qualifiés de dispersants par rapport aux résidents avec l’hypothèse sous-jacente que les individus dispersants possèderaient des aptitudes supérieures pour ces 3 comportements. Ainsi, nous avons testé et comparé en laboratoire l’aptitude des Merizodus provenant de deux populations différentes (plus ou moins éloignées de Port-Couvreux) et de phénotypes différents (résidents ou dispersants) à éprouver des comportements sociaux, téméraires ou agressifs envers leurs congénères.

 

 

Test de sociabilité des Merizodus au laboratoire (Maya)

 

 

Ces expériences ont fait l’objet de moments de partage avec les hivernants volontaires pour nous aider à réaliser les tests. Armés de chronomètres et attentifs aux faits et gestes des Merizodus dans leur dispositif expérimental, les individus ont été triés en fonction de leurs aptitudes locomotrices et exploratrices et leur degré de sociabilité évalué selon une grille d’analyse. Les résultats de ces expériences seront mis en commun avec celles qui auront lieu les prochaines années afin de constituer une base de données suffisante à l’analyse et à l’interprétation des résultats par les chercheurs du programme IPEV 136.

 

 

Expérience collective entre hivernants sur le Merizodus à Biomar : moments de partage et de cohésion ! (Lisa)

 

En attendant le fin mot de l’histoire sur le Merizodus, qui a encore de belles années devant elle pour en comprendre toutes les pages, on profite de notre hivernage dans le plus bel archipel de l’océan indien !

 

Sources de l’article :

     Thèses de Lisa LALOUETTE (2009), laboratoire ECOBIO (Rennes) : Impact de l’activité anthropique et des changements climatiques sur le succès envahissant de Merizodus soledadinus (Coleoptera, Carabidae) introduit aux îles Kerguelen.

     Mathieu LAPARIE (2011), laboratoire ECOBIO (Rennes) : Succès invasif de deux insectes introduits aux Îles Kerguelen : le rôle des ajustements morphologiques et écophysiologiques aux nouvelles conditions environnementales.

     Protocoles IPEV 136 actuels.

 

Lisa - Ecobio, Mission 74

 

 

 

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