Ratmanoff et la manchotière
Ratmanoff
Situé sur la Péninsule Courbet, le cap de Ratmanoff doit son nom à M. Ratmanoff (perspicace, non ?), un topographe de la compagnie des Pêches australes. C’est le géologue Edgar Aubert de la Rüe qui donnera ce nom à cette plage après leur rencontre en 1931 sur Kerguelen. Le cap de Ratmanoff est entouré d’une immense plage de sable noir qui accueille une des plus grandes colonies mondiales de manchots royaux, évaluée à plus de 360 000 couples reproducteurs. (Oui, ça en fait du monde !)
Partage d’un instant
Une bonne matinée de marche, nous avons avalé les kilomètres sans nous en rendre compte, à travers une plaine d’acénas, pleine de souille et d’étangs. Nous étions au portant et, malgré de jolies rafales de neige, nous avons fini par atteindre la côte sous un ciel bleu.
Aparté : Nous sommes seuls. Définitivement seuls. Un sentiment d’humilité mêlé à une impression de liberté, détachement total devant cette immensité. Ça avait commencé par la perte de la notion du temps qui passe, par la traversée en bateau où les heures se confondent, puis la vie sur base où les jours se ressemblent, et, enfin, par cette marche sur une grande étendue humide qui érode le regard par sa monotonie, la Péninsule Courbet.
Péninsule Courbet, paysage digne de la Terre du Milieu, avec au fond, la montagne solitaire.
Alors que les rouleaux des vagues laissent de grandes traînées portées par le vent, interface mouvante avec l’immensité de cette mer d’argent, nous voyons se dessiner pas à pas la colonie de manchots royaux de Ratmanoff. Soudain la plaine tombe sur la mer dans un léger décroché, l’acénas devient poussière. A perte de vue, de chaque côté où porte le regard, la plage est dense de boules de plumes à joues orange et à ventres blancs. Ils nous laissent sans voix, émus de cette réalité soudaine, de notre présence importune mais tolérée dans ce sanctuaire. Frissons. Deux équipes, deux ambiances. Couvades collectives pour certains, chacun dans son mètre carré et prises de bec de voisinage, et promenades de groupe pour les autres, oscillants sur leurs deux pattes et se mettant au garde à vous à notre passage. Leurs chants se lient au ronflement du vent, toujours plus fort, toujours plus froid.
Au loin, une petite cabane (Guetteur), empreinte de la présence de l’Homme sur cette terre qui lui est pourtant hostile. Elle me fait penser à une de ces maisonnettes de plage des grandes côtes du Nord, mais ici, c’est un abri du bout du monde. Perdue sur les hauteurs, là où la plaine s’efface devant la plage, elle surplombe l’horizon, si rectiligne sur un univers en mouvement. Si vide au milieu d’un débordement de vie. Si humaine au cœur du sauvage. Contraste.
Nous voulons la rejoindre. (Peut-être sommes-nous attirés par ce semblant d’humanité ?) Contournant la colonie par la rivière, nous foulons une plage de plumes et de sable noir. Le vent fraichit davantage. Nous jetons un regard vers la Grande Terre, un mur blanc s’approche. Il va vite, la morsure du froid le devance. Nous serons bientôt en proie à ses gifles de vent, à ses griffes de neige. On presse le pas mais il est trop tard. La bourrasque est là.
Bourrasque sur Ratmanoff - Cyanotype - Kerguelen 2023
Photos de manchots royaux
Merci à Chloé pour ce bel intermède 😉
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