mercredi 24 janvier 2018

Interview de Gwénael BODIGER – COPEC




Peux-tu m'expliquer ton parcours ?
Il est compliqué mon parcours !
Je suis passionné de biologie et de génétique. J'ai commencé par un bac scientifique. Quelques semaines en école préparatoire pour devenir généticien. Puis j'en ai eu assez, j'ai tout plaqué parce que l'appel du large a été le plus fort. J'étais moniteur de voile depuis longtemps. J'ai commencé par faire des transats (3 en solo) et j'ai pratiqué mon métier d'éducateur en milieu marin et de moniteur de voile auprès des jeunes. J'ai fait cela jusqu'à mes 27 ans : skipper et moniteur de voile.
Puis j'ai rencontré ma chère et tendre et je me suis remis aux études. J'ai suivi une formation en commerce à Brest. J'ai été gérant d'une agence de ravitaillement de navire (« shipchandler») à Lorient pendant 7 ans.
Puis j'ai suivi « L'école nationale de commercialisation des produits de la mer » (ENCPN). J'ai été embauché par une start-up, une filiale de Louis Dreyfus qui proposait une plateforme électronique de commercialisation de produits de la mer. J'y ai travaillé pendant 2 ans, c'était au top mais c'était un peu trop tôt, juste avant les années 2000. Cela n'a pas fonctionné à cette époque.
J'ai alors été embarqué sur des thoniers, d'abord à Abidjan pour le Comité National de la Pêche, puis sur des thoniers espagnols dans le canal du Mozambique, pour les Affaires Maritimes. Il s'agissait de faire de l'observation des prises accessoires et de les reporter, ainsi que de signaler les entrées et sorties de zones.
J'ai ensuite travaillé une année sur des chalutiers de pêche au merlu sur toute la façade atlantique pour l'Ifremer. Il s'agissait de concevoir les engins les mieux adaptés pour permettre la sélectivité et éviter les prises juvéniles (merluchons).
Ensuite, j'ai été embauché aux TAAF.

Tu es COPEC depuis 14 ans, peux-tu m'expliquer ce métier ?
Travailler 7 jours sur 7, 24h sur 24H, ne pas dormir, uniquement par tranche de 20mn, se faire mal au dos… : c'est beaucoup de travail. Il y a un travail de réglementation bien sûr, mais le gros du boulot, c'est un travail pour le muséum d'histoire naturelle.

Quel est le lien entre le muséum d'histoire naturel et les TAAF?
Le muséum est conseillé technique pour le pêche. C'est le muséum qui évalue la biomasse, et le stock de poisson. Tous les 4 ans, il y a une campagne, POKER, et suite à cette campagne, le professeur Guy Duhamel propose un TAC : Taux Admissible de Capture. 
Ce TAC est ensuite redistribué en quotas par navire par le préfet des TAAF et l'avis du Muséum. Par exemple, l'année passée le TAC a été un peu diminué sur Kerguelen à cause de la déprédation des cachalots. Ce TAC permet d'assurer que le stock de poissons se maintient et/ou augmente.

Quel est le travail effectué par le COPEC pour le muséum d'histoire naturel à bord et à quoi cela sert-il ? 
Nous effectuons des mensurations, prélèvements stomacaux et d'otolithes (osselets qui se trouvent de part et d'autre du cerveau), des marquages, recaptures etc…
La Légine est un poisson peu connu. Cela permet de connaître son taux de croissance, ses déplacements, ses régimes alimentaires…Par exemple, on trouve dans les estomacs des becs d'encornets.

Les marquages et recaptures: de quoi s'agit-il ? 
De marques spaghettis numérotées. On marque 1 poisson par tonne pêché. Le poisson est mesuré, pesé, marqué, on note sa position et la date du lieu de marquage puis il est rejeté à l'eau.
Quand il est repêché, il est à nouveau mesuré, pesé, on note sa position et un outil nous permet de savoir depuis combien de temps il a été marqué et le parcours du poisson pendant ce temps là. Il arrive que nous le repêchions au même endroit.

Combien de temps dure une campagne de pêche ?
De 75 à 90 jours.

Pendant une campagne, combien de poissons analyses-tu ?
Au niveau biométrie : entre 6 et 9 000 poissons.
Au niveau otolites : nous prélevons 200 échantillons.
Au niveau marquage, cela dépends de la pêche puisque c'est : 1 poisson par tonnes, soit entre 250 et 300 poissons.

Quel est ton travail de réglementation ? 
Il faut la faire respecter : faire attention aux horaires de filage et de virage des lignes, aux sondes (les bateaux n'ont pas le droit de pêcher à moins de 500m), au temps d'exploitation etc. …
La zone est divisée en plusieurs carrés et un bateau n'a droit d'exploiter un carré que pendant 10 jours, ensuite elle est décalée. S'il y a trop de prises accessoires, le bateau doit également se décaler.

Maintenant, au niveau COPEC, en 14 ans je n'ai pas eu beaucoup de soucis. Je n'ai dressé qu'un seul PV sur un acte volontaire. Au niveau de la réglementation, c'est globalement respecté.

Que sont les prises accessoires et qu'en font les Palangriers ?
Par prise accessoires, on entend des prises qui ne sont pas de la Légine. C'est globalement du grenadier, de la raie et de l'antimore. Le grenadier est conservé et traité à bord. L'antimore est rejeté. Tout est pesé, comptabilisé et souvent rejeté. La raie est immédiatement remise à l'eau en « cut off ». S'ils pêchent trop de raie, ils doivent se décaler.
A bord, les marins, ont le « code de bonne conduite » : statistiques de pêches par secteurs. Ils savent où ils risquent de pêcher des prises accessoires. Comme ce n'est pas dans leur intérêt ils évitent ces secteurs.

A quel pourcentage se montent les prises accessoires ?
Cela dépend des marées. C'est globalement assez peu. Sur la dernière marée, il me semble que cela représente moins de 10%. S'il y a également trop de prises de juvéniles (poissons de moins de 60cm), c'est à dire si cela dépasse les 10% sur une ligne, le bateau devra se décaler également.

Que sont les prises accidentelles ?
Cela concerne les oiseaux. Lorsque j'ai commencé, il y en avait peut-être 600 ou 700 sur un virage (une remontée). Maintenant lorsqu'on en capture 2 ou 3 dans une marée c'est le maximum. Les bateaux se sont équipés de matériel d'effarouchement de manière très performante. C'était vraiment le souci à une époque.

Quel est le matériel d'effarouchement ? 
Il s'agit de lignes de banderoles qui sont déployées à l'arrière du navire lors du filage et un rideau de brickle qui est placé à l'arrière du navire lors du virage. Cela évite que les oiseaux viennent mordre dans les hameçons lorsqu'on remonte la ligne.
Ces outils sont performants.

Combien y a-t-il de lignes et d'hameçons à bord d'un palangrier à la légine ? 
Une ligne est composée de rails. Il y a 750 hameçons sur un rail et il y a 12 rails, soit de 750 à 12 000 hameçons environ.

jusqu'à quelle profondeur pêche t-on la légine ? 
La limite est à 500m : les palangriers n'ont pas le droit de pêcher au-dessus. Comme il y a peu de Légine en-dessous de 2000m, en moyenne les navires pêchent entre 500 et 1800m.
Plus on pêche profonds, plus cela prends du temps de remonter la ligne. Rien que pour remonter les orins (entre la ligne est les bouées), il faut plus d'une heure, lorsqu'elle est à 2000m.

Combien de temps faut-il compter pour filer (mettre la ligne à l'eau) et virer (remonter) une ligne ? 
Filler, c'est rapide : 3 hameçons à la seconde, environ 40mn. Pour virer, cela dépends de la longueur, mais jusqu'à 6 heures environ.

Combien de temps laisse t-on les lignes ? 
Cela varie. Sur les petites sondes (petites profondeurs), cela enchaîne. Dans le creux (grande profondeur), il faut laisser « tremper » (travailler un peu) quelques heures.

Quel est l'appas utilisé pour la légine ? 
Essentiellement du macro scomber scombrus : celui d'atlantique.

Comment s'organise le travail de COPEC à bord ? 
On s'adapte au rythme de travail du bord, en sachant qu'il faut être présent sur chaque ligne pour faire 25% d'observations. Il n'y a donc pas d'horaire.
On note tout ce qui monte, y compris le benthos : étoile de mer, loturies, corail…puis nous le saisissons sur notre logiciel de pêche.
Le travail de biométrie se fait de manière séparée, à l'usine.

Le Benthos est-il aussi considéré comme des prises accessoires ? 
Oui. Si on observe trop de benthos, il faut également se décaler, mais cela arrive peu à la palangre.

Y-a-t-il beaucoup de déprédation par les cachalots et les orques ? 
En période d'été australe, les cachalots sont présents partout à Kerguelen. Les cachalots viennent manger les poissons sur les lignes. Le taux n'a pas été évalué car difficilement évaluable sur les
Cachalots, mais à Crozet avec les orques cela représente 30 à 35%. Si on en voit arriver 5 ou 6, la ligne est morte, il n'y a plus un poisson à remonter.

Quelle est la conséquence pour le pêcheur ? 
Il va adopter une nouvelle technique de pêche en écartant ses lignes. Il les espaces de 30 milles (3 heures de route), cela lui fait perdre du temps et consommer davantage de gasoil.

Est-ce que des solutions existent ? 
Pas encore.

Avez-vous déjà remonté des choses étonnantes dans vos filets ? 
Une fois nous avons remonté un fossile de corail dur, que nous avons envoyé au muséum. Parfois, des bateaux remontent des harpons d'anciens baleiniers…

Grâce à quoi peut-on dire que la pêche à la légine est une des pêches les plus raisonnables au monde ? 
C'est grâce à la mise en place de cette réglementation, de COPEC embarquées, la surveillance satellitaire et des navires de la marine nationale…Avant les années 2000, il y avait beaucoup de bateaux contrebandiers, pirates etc…

Penses-tu qu'il faudrait reproduire ce qui se fait ici dans d'autres pêcheries du monde ?
Oui bien sûr, partout et sur toutes les pêcheries.

Comment est la vie à bord ? 
A partir du moment où chacun se respecte tout se passe bien. Il faut respecter le travail de chacun. C'est une vie de marin !

Qu'est ce que tu aimes dans cette vie de marin et de COPEC ?
La passion pour la mer et tout ce qu'elle contient. C'est également la préservation de la ressource et la protection de l'environnement.

Si vous êtes intéressés par cet article, vous pouvez également aller visiter : « A bord du Palangrier l’Ile de la Réunion ».

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