mercredi 1 avril 2015

Gener à Kerguelen



Le poste de Coordinateur Logistique à l’aune du ravitaillement de la cabane Phonolite, Presqu’île Ronarch, archipel des Kerguelen

Rien de tel qu’une mise en situation pour prendre conscience des tenants et des aboutissants d’un poste. Ainsi, le poste, dont sera l’objet les lignes qui vont suivre, bénéficiera d’une mise en relief, réalisée au travers d’une illustration concrète. Mais tout d’abord, quelques considérations générales s’imposent.
L’activité concernée est celle de coordinateur logistique des activités scientifiques au sein de l’archipel des Kerguelen pour le compte de l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV), un organisme dédié au soutien de la recherche dans les régions de hautes latitudes. Le coordinateur logistique contribue principalement au bon déroulement des opérations scientifiques en facilitant le départ sur le terrain des chercheurs. Cela passe par une planification des sorties hors-base, un support matériel très hétéroclite (radios portatives, matériel de camping…)  mais également par une gestion des refuges disséminés sur l’archipel. C’est de cette gestion des refuges dont il sera principalement question dans la suite de cet article.
L’IPEV gère environ une trentaine de refuges à Kerguelen, répartis sur l’ensemble des 7000 km² des îles. Ces cabanes accueillent les scientifiques lors de leur mission de terrain et leur permettent ainsi de rester plusieurs jours, voir plusieurs semaines sur des sites éloignés de la base de Port-aux-Français. L’entretien de ces refuges est réalisé durant la période estivale australe lorsque l’activité au sein de l’archipel est maximale et que le personnel de l’IPEV spécialisé dans ce type de travaux est présent sur place. C’est également durant cette période, où les rotations maritimes du Marion Dufresne II desservent les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), que les cabanes fortement fréquentées sont ravitaillées par hélicoptère. Lorsque la base rentre en hivernage, événement initié par un adieu relatif au Marion Dufresne de plus de 6 mois, le nombre de personnes chute drastiquement et le coordinateur logistique, seule personne dépendant directement de l’Institut Polaire encore sur place, assure le relais entre le siège de l’IPEV et le district de Kerguelen tout en assurant une continuité dans le service de soutien à la recherche scientifique sur les programmes au long cours fonctionnant notamment grâce aux Volontaires de Service Civique (VSC), jeunes scientifiques affectés pour une année sur ces îles du bout du monde.

  
Cabane Phonolite Photo Adrien Tavernier IPEV

L’évocation du ravitaillement de la cabane Phonolite (du nom d’une roche volcanique abondante dans cette partie de l’île) durant la dernière campagne d’été est une occasion d’illustrer concrètement l’activité du coordinateur logistique, décrite précédemment en termes généraux. La maisonnée de bois de Phonolite, aux allures de refuge de haute montagne, se situe dans l’univers minéral de la presqu’île Ronarch, extrémité orientale et méridionale des Kerguelen. Aux pieds de "la tête de l’Homme",
  structure géologique culminant à près de 400 mètres, la masure boisée déteint dans le paysage volcanique tourmenté de cette partie de l’île. A Kerguelen, la nature semble s’être déchainée dans une sorte de folie créatrice. Les extrusions basaltiques qui se sont hissées au dessus du niveau de la mer et qui ont formé l’archipel ressemblent à des sculptures façonnées par les éléments naturels et dont les formes diverses et variées sont propices à débrider l’imagination des hivernants. Ainsi, nombre de lieux de ces îles de la Désolation renvoient à des images subjectives reliées à la perception des explorateurs d’antan. La toponymie des Kerguelen mêle à la fois métaphore, poésie et histoire de la découverte de ces cailloux de lave séchée défiant l’immensité des océans austraux


Tête de L'Homme Photo Yves Plaquevent Disker



Repères spatiaux sur l’archipel des Kerguelen dans la perspective du ravitaillement de la cabane Phonolite / Crédits photographiques : Institut Polaire Français IPEV & IGN

Chaland en route pour le Golfe  Photo Yves Plaquevent Disker



Pour rallier la cabane de Phonolite depuis la base, il est nécessaire de traverser le Golfe du Morbihan. Lors de la campagne d’été, plusieurs moyens nautiques sont mis à disposition des scientifiques et du personnel technique afin que ces derniers puissent accéder aux îles du Golfe mais également aux zones les plus reculées de l’archipel. Ainsi, trois esquifs bien différents mouillent dans la baie, devant Port-aux-Français. L’Aventure, chaland pouvant transporter personnel et matériel.
Dépose à Halage aux Naufragés par le Chaland Photo Yves Plaquevent Disker
















 



le Commerson, embarcation légère et très rapide de type zodiac dédié au transport de passagers (6 personnes et 2 membres d’équipage) se cantonnent au Golfe du Morbihan. Lors de la période d’activité réduite de l’hivernage, seule l’Aventure continue de desservir les îles du Golfe. 




La Curieuse Photo Yves Plaquevent Disker




Le Commerson (Photos Resnat Kerguelen)








Un troisième navire, la Curieuse, rejoint presque chaque été l’archipel depuis la Réunion afin de permettre aux scientifiques d’accéder aux zones côtières des Kerguelen nécessitant une navigation en haute-mer et non pas uniquement dans l’anse protégée du Golfe. 




 
Il est amusant de noter, qu’à l’instar de la toponymie, deux des trois noms des navires officiant à Kerguelen se réfèrent à la faune (Dauphins de Commerson) ou à l’histoire du lieu (la Curieuse était le nom du bateau des frères Rallier du Baty qui explorèrent l’archipel des Kerguelen en 1913.
Pour le ravitaillement de la cabane Phonolite en ce milieu de campagne d’été, la rapidité d’action est privilégiée via l’utilisation du zodiac le Commerson. En effet, suite à la remontée d’informations en provenance de scientifiques ayant été sur place, il se trouve que le refuge ne disposera bientôt plus de denrées suffisantes pour assurer la sustentation des personnes de passage. 

La cabane de Phonolite a été construite comme un lieu de transit sur le chemin du refuge de Sourcils Noirs, endroit d’intérêt ornithologique majeur de l’île notamment pour les Albatros (à Sourcils Noirs).



Le Canyon Photo Y Plaquevent Disker




 Le Canyon des Sourcils Noirs










La Cabane Photo Y Plaquevent Disker
 et sa cabane















Albatros Sourcils Noirs Photos Y Plaquevent Disker


 se situent à plus de trois heures de marche de la dépose maritime du Halage des Naufragés où les scientifiques sont habituellement laissés pour rejoindre le site d’étude des Albatros à sourcils noirs







 La cabane Phonolite, à seulement 40 minutes du point de dépose, permet de bénéficier d’un relais entre le Halage des Naufragés et le canyon des Sourcils Noirs. Ce refuge constitue donc une sécurité importante du trajet et il est primordial qu’il soit opérationnel et dispose d’un minimum de nourriture et de fournitures.
Un stock de denrées de premières nécessités est donc constitué depuis le magasin de produits secs présent sur base et malicieusement dénommé Kerfour (véritable petite épicerie de quartier). Des bouteilles de gaz, des allumettes et quelques produits ménagers viennent compléter la liste des éléments à emporter. Chaque item est placé dans des touques, cylindres plastiques étanches d’environ 60L, unité de stockage des îles subantarctiques françaises.  Ces bidons sont chargés sur le Commerson avant que ce dernier ne se lance à l’assaut de la houle du Golfe à près de 30 nœuds. 

Le Commerson Photo Resnat Kerguelen

 Masque de protection sur le visage, vêtements étanches sur le dos : les passagers, scientifiques ou logisticiens,
 se cramponnent au support dédié à cet effet et tentent d’anticiper les chocs liés aux soubresauts de la machine bondissant de vagues en vagues. 
Cela tabasse sévère, le vent fouette la moindre parcelle de peau mise à nue et des trombes d’eau inondent parfois la proue de l’embarcation. Le paysage défile et les premières îles du Golfe sont rapidement dépassées. A cette vitesse, au ras des flots : les sensations sont intenses. 

Bras Bolinder photo Y Plaquevent





Très vite le zodiac s’engouffre dans le Bras Bolinders
 dont le fond abrite le Halage des Naufragés. Après 90 minutes de trajet, l’équipe logistique est débarquée avec tout son matériel. Le Commerson repart écumer le Golfe pour effectuer un suivi ornithologique le long des côtes des îles du Golfe. Il sera de retour dans 3h00 pour récupérer les logisticiens et les ramener sur base. Le temps est donc compté pour le groupe logistique constitué de quatre personnes. Malgré cette contrainte temporelle, le quatuor se laisse envouter par le départ du zodiac et par les acrobaties des dauphins accompagnant leur homonyme mécanique. Ensuite c’est le branle bas de combat. Un camp de fortune est installé : les touques sont liées entre elles à l’aide d’un bout (terme de marine pour désigner un cordage) relié à un piquet droit afin d’éviter que le vent, souvent violent dans ces régions proches des 50ème hurlant, évite de disperser la précieuse cargaison. Décision est prise d’accéder à la cabane de Phonolite au plus court c'est-à-dire en coupant au plus fort de la pente : près de 250 m de dénivelé à 10% de moyenne.
Pour le transport, les touques sont harnachées sur des claies de portage, puis les jambes se chargent du reste. Arrivés au refuge, les bidons sont de nouveau reliés entre eux pour éviter qu’ils ne s’envolent. Ensuite, une rapide vérification de la salubrité des lieux  est réalisée : à part quelques planches de bois légèrement fendues, la cabane est en parfait état.




Interieur Photo Y Plaquevent Disker

 La Cabane Phonolite ravitaillée avec quelques touques / Crédits photographiques : Adrien Tavernier Institut Polaire Français IPEV



Quelques photographies de l’intérieur 
et de l’extérieur du refuge sont effectuées pour un compte rendu futur puis il est grand temps de retourner au petit campement de base pour terminer le ravitaillement grâce à un nouvel aller retour. Au final, pas loin de 1000 m de dénivelé positif effectués au pas de course (et autant en négatif) auront été nécessaires pour procéder à cet ajustement logistique.






Dauphin de Commerson Photo Y Plaquevent Disker






 Lorsque l’équipe revient au camp de fortune désormais délesté de ses touques, le zodiac se tient prêt à rembarquer hommes et matériel, toujours accompagné par les fidèles dauphins de Commerson.








 Un dernier regard sur le Halage des Naufragés et l’embarcation bondit en avant pour retourner sur la base de Port-aux-Français : opération logistique réussie…

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