Le 9 juin 2023, a été observée pour la première fois sur l’archipel de Kerguelen, une cigogne blanche. L’observation de cette espèce qui niche en France métropolitaine et qui peut migrer jusqu’en Afrique du Sud, est particulièrement exceptionnelle sur l’archipel le plus septentrional des Terres Australes Françaises.
La cigogne blanche proche de la colonie de Manchot royaux de Ratmanoff
Le contexte de l’archipel de Kerguelen
À près de 4 000 km des continents les plus proches (Afrique et Australie), l’archipel de Kerguelen accueille une diversité d’espèces avifaunistiques étroitement liée aux milieux marins. Les oiseaux pélagiques vivent la plus grande partie de leur vie en mer. Or, même s’ils s’alimentent exclusivement en mer et sont capables de se reposer loin des côtes, ils ont besoin de terre pour nicher et muer. À Kerguelen, 33 espèces ont des mœurs typiquement pélagiques, comme le manchot royal, l’albatros hurleur ou le pétrel bleu.
Seules 3 espèces ont des affinités côtières, comme le Cormoran de Kerguelen, le Petit Bec-en-fourreau (Petit Chionis) ou le Goéland dominicain. Ces espèces vivent sur les îles mais s’alimentent uniquement de ressources issues de la mer. (Poissons, crustacés, cadavres ou restes issus des autres oiseaux pélagiques)
Une seule espèce est liée aux zones humides, il s’agit du Canard d’Eaton. Son alimentation est fortement tributaire du milieu terrestre. Il se nourrit d’insectes, de vers, de crustacés et de débris végétaux qu’il trouve dans les zones humides, les prairies ou dans la zone intertidale (ou estran : ce qui se situe entre la marée basse et la marée haute).
Ainsi aucune espèce strictement terrestre et native n’est présente sur Kerguelen ni sur aucune des autres îles des Terres Australes Française. La grande distance de mer séparant l’archipel de Kerguelen et les continents ainsi que la présence de vents violents à partir des 40èmes rugissants rendent exceptionnelle la présence d’autres espèces d’oiseaux.
D’après la liste des Vertébrés des Terres Australes datant de 2015, 45 espèces occasionnelles ont été recensées (toutes îles des subantarctiques confondues à savoir : l’archipel de Crozet, de Kerguelen et de Saint-Paul et Amsterdam). Les îles de Saint-Paul et Amsterdam étant les plus proches des continents, elles regroupent une grande partie des observations de ces espèces, ces dernières étant pour la plupart pélagiques ou migratrices et capables de traverser de grandes étendues de mer.
Depuis 1840, seulement 21 espèces occasionnelles ont été recensées sur Kerguelen.
La cigogne blanche
La cigogne blanche est un grand oiseau de près de 2 m d’envergure. Elle possède des ailes longues et larges, adaptées au vol ascensionnel. C’est une espèce migratrice transsaharienne qui se reproduit en Europe, dans les régions du Maghreb ou en Moyen-Orient. Les cigognes quittent leur aire de reproduction entre août et septembre pour rejoindre leur aire d’hivernage d’Afrique, dans les savanes du Kenya, d’Ouganda, du Tchad, du Nigeria ou d’Afrique du Sud. Elles remontent en Europe vers la fin mars-avril, pour accomplir un nouveau cycle reproducteur.
Migration de la cigogne blanche ©Wikipédia
Les étendues marines ne permettent pas la formation d’ascendances thermiques et la réalisation de vol ascensionnel, les cigognes évitent donc de survoler les mers. Elles empruntent alors deux itinéraires, l’un à l’Ouest par le détroit de Gibraltar et l’Espagne, l’autre à l’Est par le Bosphore en Turquie puis descendent la vallée du Nil. Le passage par la mer Méditerranée ou toute autre étendue d’eau, oblige les oiseaux à se déplacer en vol battu, ce qui exige une très grande dépense énergétique. Le vol battu consomme en moyenne 23 fois plus de graisse que le vol ascensionnel.
Des vols longue durée au-dessus de l’eau ont tout de même été recensés, mais ils sont rares.
Observation de la Cigogne blanche à Kerguelen en 2023
Le 10 juin, près de la colonie de Manchot royal de Ratmanoff, a été observée par les ornithologues de l’Institut Polaire Paul Emile Victor (IPEV) et les Agents Mammifères Introduits de la Direction de l’Environnement des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), une cigogne blanche. Elle sera observée le reste de la semaine, quasiment tous les jours, jusqu’au départ de l’équipe le 15 juin.
L’individu en question semble en forme et en bonne santé. Il est difficile d’estimer son âge. Elle s’alimente en compagnie de Goélands dominicains et de canards d’Eaton à proximité de la colonie de manchots royaux. Elle reste assez farouche à la présence humaine et s’envole sans hésitation si elle en éprouve le besoin. Elle sera de nouveau observée plus attentivement, le 17 juin lors d’une nouvelle manip spécialement organisée pour documenter cette observation.
Cigogne blanche et poussin d'albatros hurleur
3912 km : la distance minimale parcourue par la cigogne blanche observée à Kerguelen
Cette rencontre exceptionnelle soulève un grand nombre de questions :
- Comment est-elle arrivée là ? A-t-elle survolé les plus de 3 900 km de mer seule ? Un vent la-t-elle poussée de façon favorable jusqu’à Kerguelen ? S’est-elle servie de bateaux pour se reposer, ou bien ont-ils joué un rôle plus actif dans son voyage en l’amenant proche des côtes de Kerguelen ?
- Depuis combien de temps est-elle là ?
- De quoi se nourrit-elle ?
- Quelles sont ses interactions avec les autres espèces ?
- Va-t-elle rester sur l’île ?
Autant de questions qui resteront sans doute sans réponse mais Dame Nature est tellement surprenante…
Encore un grand merci à toutes les personnes qui ont accepté qu’une équipe retourne sur le site rapidement afin de documenter cette présence exceptionnelle sur l’archipel de Kerguelen.
Cigogne blanche, canard d'Eaton et le "pouce"
la Team "Cigogne" heureuse, de gauche à droite, Émilie, Franck et Charly
Auteurs : Émilie , Charly
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