Cette année, c’est Simon Rouby, cinéaste, que nous avons eu la chance d’accueillir à Kerguelen de fin Décembre à mi- Avril 2018.
Simon Roubly a notamment réalisé le long métrage d’animation « Adama » avec Julien Lilti, scénariste. Ce film raconte l’histoire d’un enfant de 12 ans qui vit dans un village très isolé d’Afrique de l’Ouest. Il admire son frère de 16 ans qui un jour disparaît. Alors, il décide de partir à sa recherche, sans savoir qu’il s’est engagé dans la guerre, car nous sommes en 1916.
Ce film qui a demandé 7 années de production, surprends avant tout par l’originalité et la richesse de l’univers graphique. Pour retranscrire les expressions des personnages, Simon a choisit d’utiliser une technique novatrice : le scan 3D de statues d’argiles. 150 statuts de 15 cm de haut ont ainsi été produites. Les 900 décors sont des peintures qui nous emmènent dans son monde de lumière et de perspectives. Quand à la spectaculaire scène de Verdun, Simon a utilisé la technique du férofluide, une encre avec des nanoparticules de métal qui réagissent au champ magnétique et reproduisent ainsi les explosions et le trouble de la guerre. Plus de 40 personnes ont travaillé sur ce film imaginaire et historique, saisissant.
A Kerguelen, Simon est venu s’inspirer de la particularité de nos paysages, de leur grandeur mais également s’est fasciné par ses détails, celui de la nature à l’état sauvage.
Participant à de nombreuses manips à travers l’archipel, il a filmé et photographié en utilisant parfois un drone avec l’objectif de recréer des décors en 3 dimensions.
Cet homme longiligne, paisible, humble et souriant, riche de son passé de créateur et de sa gentillesse a également participé à la vie de la base de Port-aux-français. Il a transmis à ses hivernants un nouveau regard, le regard pétillant et profonds de l’art. De nous tous : merci Simon.
Interview de Simon
Rouby illustrée de ses dessins
1)
Simon
Rouby
Je suis originaire de Lyon, j’ai commencé par le graffiti
puis j’ai fait des études de dessin animé à Paris et à Los Angeles. J’ai
réalisé plusieurs courts métrages et un long métrage qui s’appelle Adama.
Qu’est ce que le
graffiti vous a apporté ?
Cela m’a permis de m’aiguiller vers l’art.
Je ne viens pas du tout d’une famille d’artistes, plutôt de
scientifiques d’ailleurs, cela m’a permis de m’exprimer par la forme, la
couleur, sans même me rendre compte que je faisais de l’art. C’est un truc
spontané qui se fait sans démarche, sans réflexion et cela reste de l’art au
final.
Quel était votre
style ?
Autour du graffiti adolescent auto promotionnel :
j’écrivais mon nom. C’était du graffiti assez brut, pas très décoratif, mais
c’était tout de même une expression avec la composition, la couleur, la forme
en plein air : c’est un art qui se pratique à l’échelle du corps, c’est
libérateur comparé avec l’école de dessin où l’on dessine avec les deux
premières phalanges de la main droite. C’est bien d’avoir commencé avec cette
échelle.
Et que vous a appris
l’école de dessin animé ?
A décomposer le mouvement d’un personnage. Animer c’est
donner vie à un dessin. Image part image cela met en scène un film en entier.
On commence par un dessin et on se met à devenir cinéaste.
Qu’est ce qui a fait
que vous choisissiez le parti d’être réalisateur ?
J’ai trouvé mon moyen d’expression : le cinéma mais dessiné. C’est
une sorte de synthèse de toutes les formes d’expressions à la fois : le
dessin, la sculpture, la composition, le rythme, la musique, c’est très
complet.
2) Adama
Lorsque j’étais à l’école, j’ai fait un choix de stage très
peu carriériste au Sénégal où j’ai réalisé un très court métrage :
« Orun ». C’est l’histoire d’un gamin dans une école coranique qui
dessine en secret et qu’on censure. Il y avait un thème imposé sur le super
héros et il dessine le super-héros qu’il voit.
J’avais cette expérience, et j’ai un ami scénariste, Julien
Lilti, qui voulait réaliser un film sur les tirailleurs sénégalais. Il a vu mes
films et trouvait que cela marcherait bien avec son film.
On s’est rencontré, il m’a parlé de son projet, on s’est
tapé dans la main et dis au revoir. On ne savait pas qu’on resterait à
travailler ensemble pendant 7 ans.
Comment avez-vous
travaillé avec Julien ?
On a écrit pendant plusieurs années. Au début il écrivait et
je dessinais puis nous avons écrit tous les deux ensembles.
On sortait de l’école, c’était un projet un peu impossible
sur le papier. Des étudiants qui sortent de l’école, un thème difficile, un
enfant dans la guerre. A force de persévérance, on a été rejoins par des
producteurs, NAIA. Deux ans d’écriture, deux ans de financements, deux ans de
fabrication à la Réunion. Quasi 7 ans de l’idée au truc terminé !
J’ai aimé cette naïveté. On me disait « c’est
impossible », mais : c’est possible.
J’aimerai retrouver la naïveté de ce moment là. On n’a
jamais eu le coup de grâce donc on a poursuivi. C’est un travail d’équipe, au
début on était deux et ensuite cinquante. L’important c’est comme dans tout,
c’est d’y croire.
Qu’est ce que vous
avez voulu dire à propos d’Adama ?
On partait d’un fait historique : les tirailleurs
sénégalais qui ont combattus pour la France, « la force noire ».
C’était une manière de revenir un peu sur presqu’un siècle d’interaction entre
l’Afrique de l’ouest et la France à travers ce sujet là.
Nous avons tous les deux grandis dans des quartiers mixtes.
Lorsque j’étais adolescent on ne se posait pas la question de qui venait d’où
mais en grandissant on se pose plus de questions sur les chemins différents.
Lorsque j’étais au Sénégal, j’avais été marqué par ce que
j’avais trouvé là-bas : la noblesse de la culture, quelque chose dont on n’a
pas forcément conscience.
Les personnages sont
différents de ce qu’on a l’habitude de voir, comment avez-vous donné ce
rendu ?
Le style graphique, c’est toujours l’histoire. Là il y avait
un fait réel, et en même temps un fait subjectif, vu par les yeux d’un enfant.
L’idée était de montrer ces deux aspects. L’aspect humain, réaliste, était des
sculptures en argile pour être à mi-chemin avec quelque chose de stylisé,
d’humain. Pour les décors c’est plus la subjectivité qui l’emporte, des
peintures avec une profondeur de champs. Il y a seulement ce qu’Adama voit qui
est représenté, le reste est flou, lointain, comme cela on reste complètement
dans sa perception. C’est un mélange entre ancienne technique comme l’argile et
nouvelles technologies avec scan en 3D.
Est ce que c’est
innovant ce que vous avez faits ?
Oui car cela n’a pas été fait. Toutefois, on ne l’a pas fait
pour innover mais pour choisir le prototype graphique qui match le mieux avec
l’histoire. On veut être dans un point de vu et évoquer la réalité. Ce qui est
innovant c’est de mélanger des techniques. On utilise celles qui sont là où
elles sont le plus efficace. Comme pour la guerre : se sont des sables,
des encres magnétiques, on a utilisé de la limaille de fer pour illustrer les
bombes à Verdun.
Comment a été accueilli
Adama ?
Bien, il a eu une belle sortie en France : 120 000
entrée. C’était pour un public large, ce qui n’est pas facile. Il est encore
dans les circuits de l’éducation nationale deux ans après. 150 festivals dans
le monde ont choisi de le diffuser. Il a été aux Césars, au European Film
Award, c’est un bon succès.
Quel est le prix qui
vous a fait le plus plaisir ?
Ce n’est pas tellement les prix, c’est plus que des
personnes me disent qu’elles ont vécus telles ou telles choses en voyant le
film.
Est-ce que vous
cherchez à transmettre un message dans vos films et de quelle manière souhaitez-vous
que le public se l’approprie ?
Tu tisses tout un tas de messages ! Finalement ce que
tu souhaites, c’est une sensation musicale, en dehors du langage, un sentiment
que te procures le film et tu y reviens tout le temps, tu l’as en toi.
Un film est une sorte d’avalanche, une mosaïque de couleurs qui défile
devant tes yeux, des rythmes. Là-dedans tu essaies de tisser un message
politique complexe, la colonisation. On n’a pas voulu faire un film politique
non plus : on ne se sentait pas dans la bonne position pour le faire. Notre
propos était davantage de partager une expérience de l’Afrique qui a été la
nôtre, à travers le film pour mettre le sujet en lumière.
3) Kerguelen
et l’atelier des ailleurs
Qu’est ce qui vous a
amené à postuler pour l’atelier des ailleurs ?
J’étais devenu un peu chef d’entreprise or il y a 5 ans je
faisais tout de manière artisanale et je voulais revenir à cela, d’où l’idée d’une
résidence.
Pourquoi celle-là ? Le mystère de Kerguelen que j’avais
découvert en vivant à la Réunion. Je connaissais cet appel à projet et mon
projet s’y prêtait bien ici. J’ai commencé à travailler sur le projet
« Pangée » : continent unique qui existait il y a 3 millions
d’années, qui juxtapose l’Himalaya, l’Afrique de l’est et l’antarctique sur un
même transit et Kerguelen est à mi chemin entre tout cela, cette terra
incognita qu’il y aurait moyen de peupler avec un peu d’imagination…
Est ce que vous aviez
des idées sur la manière d’exploiter Kerguelen avant de venir ici ?
Oui j’avais une idée très accès sur les paysages et la
géologie qui a été bousculé en arrivant ici avec les aspects faunes. Je savais
très bien que serait une résidence où il faudrait s’adapter à ce qui se passe,
réagir spontanément à ce qui se présente. Et finalement ce que j’ai pu faire
n’est pas très éloigné de ce que j’avais imaginé : des temps sur le
terrain ou je peux numériser des paysages et des temps sur la base ou je peux
écrire le scénario.
Du fait des contraintes de temps, de vents etc, je n’ai pas
forcément travaillé à l’échelle où je l’avais imaginé mais aussi sur des
fragments, des tous petits bouts de territoires et cela va donner certainement
lieu à une expo sur des projets, des sculptures ce qui n’était pas forcément
prévu au départ.
Ce que j’ai découvert aussi ici c’est que c’est beaucoup
moins pertinent de venir à Kerguelen pour s’enfermer trois mois dans un bureau
à écrire que bouger tout le temps et écrire au retour.
Quelle est l’idée de
cette exposition ?
Présenter des objets qui seraient des fragments de
Kerguelen, une espèce de puzzle. Des fragments de paysages, des photographies
en volume, sculptures photographiques. Mes scans peuvent s’imprimer en 3D, en
couleur.
Oui, je ne serai pas dire comment. C’est une manière de
faire le plein d’images. J’en ai plein la tête et je les réutiliserai.
Ceci, sans parler de l’aspect humain, hors du temps. C’est
très apaisant de faire une sorte de parenthèse dans sa vie en venant ici. Au
début j’étais plus dans la frénésie de faire pleins de trucs et c’est la
première fois que j’ai une période aussi calme, longue, solitaire aussi.
Est ce que Kerguelen
était ce à quoi vous vous imaginiez, si vous aviez une idée ?
On ne peut pas, c’est seulement à bord du Marion Dufresne
que l’on commence à comprendre, sauf peut être pour certaines personnes, comme
ceux qui ont une formation avant. C’est seulement une fois que tu es là que tu
dis : ok c’est comme cela. Cela sera difficile de décrire aux gens ce
qu’on a vécu en rentrant.
En même temps, j’avais fait exprès de ne pas m’imaginer
vraiment ce que cela serait.
Si vous deviez
décrire Kerguelen en rentrant, que diriez-vous ?
Une sorte de solitude collective partagée avec des inconnus dans un village
loin du monde. Tout cela entouré d’un spectacle permanent à 360°.
Comment allez-vous
utiliser Kerguelen dans vos prochains projets ?
L’exposition en parlera, mais pour mes films, ce sera plus
un ingrédient. J’y piocherai dès le prochain et peut être aussi après, pour en
ressortir des images : c’est une banque de donnée, des expériences vécues
qui permettent d’imaginer plein de choses au delà de ce projet là.
4) L’expérience
de Kerguelen par Simon Rouby
Comment avez-vous
vécu votre expérience ici ?
Il y a une phase de rupture au début avec ta vie dont tu
t’extraies. Ce sont des adieux. En plus il y a pleins de mise en garde :
rendez vous avec médecins, psychologues, « cela va être comme cela ».
Tu sens que tu te lances dans quelque chose de presque anormal.
Comme moi je
suis arrivé en pleine campagne d’été, j’ai fait ma première manip 3 jours après
être arrivé, à chercher des oiseaux dans les terriers de Kerguelen. Pas de
transition, tout de suite dans le bain grâce aussi au gens qui m’ont permis de
le faire.
Finalement, la première période plus calme où j’ai vraiment
compris où j’étais, c’était plutôt en février après le départ des campagnards
d’été. C’est surtout ce mois là où j’ai écrit.
On voit aussi le départ arriver de très loin : depuis
un mois, avant même que le Marion Dufresne soit parti, il est déjà arrivé.
J’ai vraiment ressenti en Février ce que cela peut être
d’hiverner ou de rester longtemps ici. C’est une expérience solitaire, il faut
s’adapter. Il y a beaucoup de contraintes qui mises bout à bout te rythment,
comme sur un camp militaire : les repas à telle heure, les questions de
sécurité qui sont plus prenantes qu’ailleurs, le fait que tu ne puisses jamais être
vraiment seul. Il y a des trucs qui demandent de l’adaptation.
Est ce que vous aurez
appris des choses sur vous ?
Je me sens plus apaisé qu’en arrivant. On apprend que l’on n’est pas
complètement fait par la frénésie actuelle, le coté hyper connecté, la frénésie
permanente des choses, cela permet de reconnecter avec quelque chose de plus
temporel. Sans forcément apprendre des nouvelles choses sur soi, cela
permet de se retrouver.
Lorsque j’avais du temps, lorsque tu es en train de
chercher, que tu te décourages, tu vas faire un tour et tu reviens : c’est
la première fois que je fais cela dans un tel silence. D’ailleurs, c’est moins
le silence ou l’isolement que le fait que je n’ai personne qui attende quelque
chose de moi qui est assez vertigineux : tu es obligé d’être sincère avec
toi même. Tu n’as pas de commande. Je ne vais pas repartir d’ici avec un
scénario finit.
Comment c’était les
manips ?
C’était dingue ! J’ai fait de tout. Plaquage d’éléphant
de mer, fouillage de terrier, prélèvement de mouches sans ailes, comptage
d’espèces introduites, découverte de plantes rares comme le Lialya, pêche électrique,
recherche de rats… C’est surréaliste et je préfère faire cela ici que me
creuser la tête à écrire car je pourrai le faire après.
Avez-vous une vision
artistique de Kerguelen ?
Je ne regarde pas les mêmes choses.
Tu peux aller au même endroit avec des programmes différents
tu vas voir des choses différentes : plantes, choux, rat, éléphant et à
chaque fois c’est un monde.
Dans le même environnement il y a pleins de regards qui se
croisent et moi j’en ai un de plus. Tous les regards me permettent d’être attentif
au mien, il y a pleins de choses que je n’aurai pas vus seul.
Par ailleurs, il y a beaucoup de gens qui font de la photo,
ont un regard artistique, je ne suis pas le seul.
Est ce qu’il y a une
expérience forte, quelque chose qui vous a marqué ?
Je reviens de Port-Jeanne-d’Arc et cela m’a vraiment marqué.
Etre comme partout à Kerguelen, dans une manip en pleine nature à chercher des
plantes et dans un temps arrêté, être dans celui de ruines de phoquiers
norvégiens du siècle dernier avec toutes les questions que cela soulève :
présence de l’homme, exploitation, héritage, conservation, esthétique… Nous
avons gagné beaucoup en conscience écologique et en architecture. J’ai l’impression
d’avoir voyagé dans le temps.
Au final une
expérience positive ?
Oui carrément !
Et après ?
Replonger dans le monde. Reprendre là ou j’en étais, c’était
une parenthèse. J’ai des projets en cours qui reprennent tout de suite.
Je me suis consacré juste au temps présent pendant 5 mois, c’est un
luxe incroyable.
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