Un peuplement ici d’une
centaine de personnes il y a une centaine d’années. 100 hommes au 50ème
parallèle sud, puis plus rien.
100 hommes pour une
usine d’huile de baleine et d’éléphant de mer.
Quelques chalets de bois
colorés dressés pour ces 100 hommes sur la plus septentrionale des presqu’iles
du golfe du Morbihan, au sud de l’Archipel des Kerguelen.
100 hommes ont vécu dans
ces chalets à pêcher le phoque parce que deux frères, Henri et René-Emile
Bossières l’avaient imaginé.
Fils d’un important
armateur baleinier du Havre, Henri et René-Emile Bossières, de passage dans une
entreprise familiale de production de phoques et de moutons des Falklands,
décident de développer une exploitation similaire aux Kerguelen.
« Quand on
réfléchit que César, dans ses commentaires, déclarait les cotes d’Angleterre
inhospitalières, hérissées de dangers, et sans cesse battues par la tempête…on
peut sans trop d’audace présager que la Terre de Désolation (…) sera un jour
peuplée et prospère ». Nouvelle notice sur les iles Kerguelen possession française – 1907, Henri Bossière.
Dès la prise de
possession de la France, en 1893, ils obtiennent une concession d’exploitation
de 50 ans. Ils cèdent des droits à une entreprise Norvégienne, « Storm,
Bull & Co. » pour 20 ans. Celle-ci construit la station-usine de Port
Jeanne d’Arc et en 1908 y dépose 100 hommes: 100 norvégiens dans une dizaine de
chalets de bois vermillon aux fenêtres blanches.
Ils sont déposés sur une
langue plane au pied d’une colline d’où jaillit une cascade d’eau fraiche.
Devant eux se profile le panorama de Ile Longue.
Storm, Bull & Co. disparaît
en 1913. Après la guerre, l’entreprise du Cap « Irwin and Johnson »
prends la suite de l’exploitation avec « Kerguelen whaling and Sealing Co. ».
L’activité s’arrête définitivement en 1926 devant la concurrence des
cargos-usines.
L’exploitation aura duré
en tout et pour tout à peine plus d’une dizaine d’année.
En 1929, le
« Discovery » qui mouille devant PJDA rapporte : « les éléphants de mer ont été
décimés par l’homme. Les chiens sauvages sont une autre calamité, ils sont
devenus comme des loups, une réelle menace pour toute vie sur les iles. »
Aujourd’hui, les chiens
ont disparu, les éléphants de mer sont protégés et PJDA est un souvenir de
l’homme sur ces terres au bord de l’eau.
Histoire de 20 ans,
histoires d’une dizaine d’années de vie de cette centaine d’hommes venus du
Nord. Il semble que l’on entend encore leur souffle dans le chuchotement du
vent et le suintement de l’eau qui s’infiltrent dans les interstices rouillés
des cuves à huiles abandonnées à leur dernière place.
L’histoire de l’homme à
Kerguelen n’a qu’à peine plus de 200 ans. Ces poignées de vies sont un dixième
de notre histoire d’hommes à Kerguelen, elles sont notre passé à nous, Kerguéleniens
de passage, français des australes et français tout court. Même s’ils furent
Norvégiens et n’eurent pas de descendance ici, ce sont un peu nos ancêtres ces
hommes qui ont vécu chez nous.
Aussi, le peu d’hommes
au privilège de fouler Port Jeanne d’Arc partagent un moment avec ces autres
hommes.
Port Jeanne d’Arc a le
charme d’une usine soviétique abandonnée dans la campagne arménienne. Au bord
de l’eau bleue, sur le sol vert vif, s’écroule un mikado de métal orange.
Des cuves, des
autoclaves et des tuyaux rouillés sont un bref témoignage d’une vie de passage
là où il n’y a que nature. Les baleinières de bois se craquellent et se
disloquent sous le soleil, les rails rendent leur fer au sol, le ponton de bois
ne relie plus la plage. Nous sommes dans le futur de leurs vies.
Les chaines enroulées
sur les galets ont durci, ont formées une croute reliant leurs cerceaux, elles
sont presque pierre. Les barils sont percés et à travers les morceaux de puzzle
absent transparait le ciel. Les cuves
vacillent comme des petits soldats exposés trop longtemps au soleil et qui
n’ont pas le droit de tomber, sinon raides. Le bois en tas se mêle au métal. Il
reste à ces anciens navires quelques années encore avant de sombrer sans avoir
fait naufrage.
Les portes des
autoclaves, arrondies, épaisses aux arceaux de coffre fort sont restées
ouvertes : le trésor n’est plus ce qu’il y a l’intérieur.
Il y avait ces hommes
qui chargeaient des baleines et des éléphants sur leurs canoës de bois non
pontés après la bataille de la chasse. Il y avait ces hommes qui les tiraient
sur la plage. Et ces autres qui les découpaient en morceaux. La chair d’un
coté, les peaux et les os d’un autre. Il y avait ces morceaux de mammifères
marins chauffés et fondus pour en extraire l’huile. Il y avait ces cuves
pleines qui repartaient à bord d’un navire à vapeur pour l’Europe. Et il y
avait nos rues et nos lampadaires d’Europe éclairés par cette huile des
australes.
Dans ce village de Kerguelen, les hommes se nourrissaient de choux et de cochons qu’ils nourrissaient de phoques.
Les tonneaux aujourd’hui
crevés, les rails disloqués, le ponton coupé, leur vie circule toujours dans
ces tuyaux de fer parcourant les airs aux dessus des chaudières, dans ces tas
de ferrailles jonchés sans ordre.
Un jour tout s’est
arrêté. Les tonneaux ont été laissés dehors. Les hommes sont montés dans un
bateau. Et derrière eux, seul le Ross, sublime, a veillé.
Les bâtiments de vie,
les bâtiments de bois de ce village nordique du sud se sont avachis ;
quelques uns ont étés reconstruits.
A l’intérieur des
maisons, du bois clair à la douceur de campagne. Des tabourets de métal et une
table carrée devant la fenêtre ensoleillée. Je m’y assiérais bien pour y boire
un chocolat chaud en regardant la mer. En regardant notre passé devant la mer, ces
bidons de métal d’huile, en regardant notre présent, ces bidons vides.
A travers les vitres, la
lumière perce le vieux parquet. Les lattes sont étroites et furent peintes. Il
fait bon. Il fait bon les vieux boulons et les vieux clous. Il fait bon le
temps passé que l’on regarde avec les yeux du présent. Les particules de métal
se désagrègent en feuilleté de clou au pays des feuilles de choux.
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