jeudi 23 février 2023

Les Terres australes françaises : des sanctuaires fragiles

Les Terres Australes et Antarctiques Françaises ont le privilège d’héberger une biodiversité originale liée à l’isolement et l’insularité de ces territoires. Cette biodiversité est notamment caractérisée par une faible diversité des espèces animales et végétales, et une très forte concentration d’oiseaux marins (comme les manchots, gorfous, prions) et certains mammifères marins (éléphants de mer). Par exemple, la population d’oiseaux nicheurs au sein de l’archipel Crozet (d’une superficie terrestre de 350 km²) est estimée à 20 millions d’individus.        


 

Colonie de manchots royaux de Ratmanoff, Kerguelen : 

Chez les manchots royaux, la variabilité climatique a des effets contrastés selon les localités de reproduction : ainsi à Crozet, le réchauffement des masses d’eau entraine un rallongement considérable des voyages alimentaires des manchots alors qu’à Kerguelen des années plus chaudes favorise la reproduction et la survie des poussins.


Gorfou sauteur d’Amsterdam : 

L’ile Amsterdam abrite une population unique au monde de Gorfous sauteurs, menacée par la présence de maladies telles que le choléra aviaire, qui entraine une très forte mortalité des poussins.

 De plus, l’isolement de ces territoires et des conditions environnementales rigoureuses ont favorisé un endémisme important et le développement d’adaptations spécifiques des organismes. Ceci est facilement observable chez les invertébrés, où un certain nombre d’espèces (mouches ou papillons) ont par exemple perdu la fonction de vol (réduction ou perte des ailes).  

 Malgré le classement en réserve naturelle nationale des archipels de Crozet, Kerguelen et des îles Saint Paul et Amsterdam, permettant une protection forte de ces territoires d’1.6 millions de Km2 (soit la plus vaste aire protégée française), ces espaces naturels sont menacés. 

Les scientifiques ont montré l’importance de 4 facteurs majeurs d’érosion de cette biodiversité :

La pêche industrielle, hors territoire français, est toujours une menace majeure pour la famille des albatros, oiseaux marins parmi les plus menacés au monde : si la pêche à la palangre est très réglementée dans les TAAF, avec la mise en place de systèmes ayant réduit drastiquement le piégeage accidentel d’oiseaux venant se nourrir sur les lignes de pêche, c’est très loin d’être le cas dans les eaux internationales environnantes dans lesquelles les oiseaux évoluent également au cours de leurs déplacements à très grande échelle.

Grands albatros en parade:   

Chez les grands albatros, la mortalité induite par les captures accidentelles dans les lignes de pêche est en enjeu majeur. Ces oiseaux peuvent vivre très longtemps (plus de 60 ans) mais ont une fécondité très faible (1 seul œuf pondu par la femelle tous les 2 ans).

L’introduction d’espèces exotiques est l’une des premières causes de l’érosion de la biodiversité au monde, cette problématique n’épargne pas la biodiversité australe. En effet, sur ces territoires isolés, l’introduction de nombreuses espèces exotiques (tel que les chats, les rats, insectes, végétaux) entraîne de nouvelles interactions avec la faune/flore locale telles que de la prédation et de la compétition. Par exemple, certaines espèces végétales introduites présentent pour certaines un fort potentiel invasif : ainsi à Kerguelen, les graminées introduites et le pissenlit se répandent à grande échelle et supplantent progressivement des espèces endémiques locales (plantes en coussins du type Azorella).

 Azorelle : 

L’Azorelle est une plante en coussinet présentant des adaptations aux rudesses du climat subantarctique et est menacée par la progression des graminées introduites, notamment sur les iles du Golfe du Morbihan (Kerguelen). 

 Les maladies infectieuses, naturelles ou potentiellement introduites (Choléra aviaire, rouget du porc à Amsterdam) menacent des populations entières d’oiseaux marins.

Le changement climatique est aussi une menace réelle pour la biodiversité avec des modifications rapides de l’environnement physique : fonte constante du glacier à Kerguelen et sécheresses accrues, augmentation de la force des vents, acidification de l’océan, enfoncement de la thermocline (gradient de température des masses d’eau), et à terme, recul des grands fronts océaniques. Certaines de ces modifications environnementales peuvent par exemple impacter les premiers maillons de la chaîne alimentaire (par exemple, influencer la production du phytoplancton) et ainsi modifier la disponibilité des ressources alimentaires de nombreux prédateurs supérieurs (oiseaux et mammifères marins).

Pétrel plongeur de Georgie :

Les pétrels sont des oiseaux marins très sensibles à l’introduction de prédateurs sur leurs colonies comme les rats et les chats qui les exterminent à moyen terme.

Toutes ces menaces font prendre conscience pour tous ceux qui ont la chance de vivre l’expérience exceptionnelle de l’hivernage, de l’importance d’avoir au niveau individuel, une attitude respectueuse et responsable vis à vis de l’environnement sur place, et surtout de l’urgence d’une action globale, avec un changement radical dans les modes de vie et de consommation de nos sociétés industrialisées.

Merci à:

Charles-André Bost, directeur de recherche au CEBC-CNRS Chizé.

Benoit Vallas, coordinateur à la Réserve Naturelle des Terres Australes et Antarctiques Françaises.